Partager:
Pendant 10 ans, Dominique P. a recruté des inconnus sur internet pour violer son épouse, après l'avoir droguée avec des anxiolytiques: prévu pour quatre mois, ce procès symbolique de la question de la soumission chimique s'ouvre lundi à Avignon.
Jusqu'au 20 décembre, devant la cour criminelle de Vaucluse, composée de magistrats professionnels et non de jurés populaires, 51 accusés vont comparaître, dont 18 dans le box réservé aux détenus.
Sur le banc des parties civiles, face à ces hommes âgés de 21 à 68 ans lors de la découverte des faits, une famille va s'asseoir, dont la vie a été "pulvérisée".
Pour l'épouse, une septuagénaire qui souhaite conserver l'anonymat, ce sera "une épreuve absolument terrible", a insisté auprès de l'AFP Me Antoine Camus, un des conseils de la victime, de ses trois enfants et de ses cinq petits-enfants.
Elle "va vivre pour la première fois, en différé, les viols qu'elle a subis pendant dix ans", car elle n'en a "aucun souvenir", explique l'avocat, rappelant qu'elle a tout appris à l'automne 2020, des enquêteurs.
Mais elle ne demandera finalement pas le huis-clos.
"Elle y renonce", car "c'est ce qu'auraient souhaité ses agresseurs", poursuit Me Camus. "Et elle est bien résolue à affronter leur regard, à commencer par celui de son ex-mari, avec lequel elle a vécu 50 ans mais dont elle a découvert, à 68 ans, qu'elle ne savait rien".
Cette affaire hors du commun avait débuté le 12 septembre 2020 par un simple fait divers: surpris par un vigile, Dominique P., retraité d'EDF, est interpellé au centre commercial Leclerc de Carpentras (Vaucluse) en train de filmer sous les jupes de trois clientes.
"Repaire de prédateurs"
En fouillant son ordinateur, saisi à son domicile de Mazan, village proche du mont Ventoux, les enquêteurs découvrent des milliers de photos et vidéos de son épouse, visiblement inconsciente, souvent en position foetale, violée par des dizaines d'inconnus, au domicile familial.
Les policiers retrouvent aussi des conversations du mari sur coco.fr, où il invitait ses interlocuteurs à venir profiter de sa femme. Dénoncé comme un "repaire de prédateurs", ce site de rencontres a été fermé en juin par la justice.
Au total, 92 faits de viols sont recensés, par 72 hommes. Mais seule une cinquantaine seront formellement identifiés.
Le mari reconnaît que certains soirs il administrait de puissants anxiolytiques à sa femme, à son insu. Du Temesta le plus souvent. Et il date les premiers faits de 2011, quand le couple vivait encore en région parisienne, avant de déménager à Mazan en 2013.
Pour les hommes invités, au milieu de la nuit, les consignes étaient strictes, pour ne pas la réveiller: ni parfum ni odeur de cigarette ; se réchauffer les mains en les passant sous l'eau chaude ; et se déshabiller dans la cuisine, pour éviter d'oublier un vêtement dans la chambre.
Le mari participait aux viols et les filmait, encourageant ses complices en des termes particulièrement dégradants. Mais il ne réclamait aucune contrepartie financière, sa seule motivation semblant être d'assouvir ses fantasmes.
Cariste, intérimaire, officier chez les pompiers, infirmier, entrepreneur ou journaliste, célibataires, mariés ou divorcés, pères de famille souvent: les 50 co-accusés de Dominique P., 71 ans désormais, maintiennent pour beaucoup avoir seulement participé aux fantasmes d'un couple libertin.
"Tous savaient"
La majorité sont venus une fois, dix plusieurs fois, jusqu'à six nuits parfois.
Mais l'ex-électricien maintient que "tous savaient" que son épouse était droguée à son insu, et il n'aurait jamais raconté un quelconque "scénario".
Si l'absence de consentement de l'épouse, dans un état "plus proche du coma que du sommeil" selon un expert, est acquise, la perception des faits par les 50 co-accusés sera au coeur des débats. Même si, pour l'instruction, "chaque individu disposait de son libre arbitre" et aurait pu "quitter les lieux".
Selon Dominique P., seuls trois l'auraient pourtant fait, repartant "sans conclure".
Ce procès sera aussi un cauchemar pour les enfants de la victime et notamment sa fille Caroline, désormais impliquée dans le combat contre la soumission chimique, via son association "M'endors pas".
Comme les épouses de ses deux frères, Caroline Darian (NDLR: son nom de plume pour le livre qu'elle a publié en 2022, "Et j'ai cessé de t'appeler papa") a aussi été photographiée nue par son père, à son insu. Et elle se demande si celui-ci ne l'aurait pas droguée, une accusation qu'il dément et que l'enquête n'a pas démontrée.
Dominique P., qui affirme avoir été violé par un infirmier à l'âge de 9 ans, est prêt à "affronter son épouse, sa famille", a indiqué à l'AFP son avocate, Béatrice Zavarro, avant un procès qui pourrait n'être que le premier pour lui.
Traqué par le pôle "cold cases" de Nanterre, Dominique P. a en effet été mis en examen pour un meurtre accompagné d'un viol à Paris en 1991, qu'il nie, et une tentative de viol en Seine-et-Marne en 1999, qu'il reconnaît, après avoir été confondu par son ADN