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Daria a subi des viols répétés de soldats russes en 2022, Alissa a été violée en 2014 par un officier russe: ces trentenaires ukrainiennes ont surmonté la peur et la stigmatisation pour témoigner, une "nécessité" pour que "le monde sache" et pour donner du courage aux autres victimes.
Contrastant avec sa silhouette menue et son visage réservé et très pâle, les mots forts de Daria Zymenko, 33 ans, ont impressionné lors d'une conférence de presse organisée à Paris il y a quelques jours par l'ONG SEMA Ukraine notamment, qui vient en aide aux Ukrainiennes victimes de viols commis par des soldats russes.
"C'est très douloureux de parler... mais j'estime aujourd'hui que c'est une nécessité d'expliquer ce que j'ai vécu, parce que la Russie continue de torturer des gens et de commettre des crimes sexuels au quotidien en Ukraine", a-t-elle affirmé, en ukrainien traduit en français, dans un entretien à l'AFP.
Le 24 février 2022, lorsque les premières déflagrations retentissent en banlieue de Kiev et que l'offensive russe débute en Ukraine, Daria, une artiste illustratrice, se réfugie à Gavronchtchyna, le village de ses parents, près de la capitale. Mais l'armée russe s'empare du village.
Peu après, des soldats "ivres et armés de fusils" font irruption chez eux, exigeant que Daria les suive pour "un interrogatoire". "Ma famille les a implorés... mais ils ont pointé leurs armes vers nous, disant que si je ne partais avec eux ils nous tueraient".
Emmenée le 28 mars dans une maison abandonnée par des voisins, les soldats lui demandent de se déshabiller. "J'ai compris que ce ne serait pas un interrogatoire: ils m'ont violée pendant deux heures".
De retour chez ses parents, quand la jeune femme voit le désespoir déjà sur leur visage, elle préfère "se taire". Le 29 mars, les soldats reviennent "pour la même chose...", souffle-t-elle, le regard tourmenté et les yeux embués. Le lendemain, l'armée ukrainienne est "heureusement arrivée".
"Je veux que le monde entier sache, et que les gens me voient en tant que personne vivante et pas juste une statistique !", lance Daria à l'AFP, jugeant "extrêmement important de prendre la parole au nom des gens qui ne peuvent pas témoigner" parce qu'ils sont dans les territoires occupés ou qu'ils craignent la stigmatisation.
- "Tache noire" -
Venue spécialement de Kiev, Alissa Kovalenko, 36 ans, est membre de SEMA Ukraine depuis la création de l'ONG en 2019. Son regard grave et sa personnalité combative sont parfois illuminés d'un sourire franc, son visage chaleureux entouré de longs cheveux blonds.
Documentariste réputée, ses œuvres ont obtenu plusieurs prix à travers le monde. Elle termine son dernier film, "Traces", sur les victimes de viols membres de SEMA Ukraine.
"Encore aujourd'hui, je dirai que 80% des femmes victimes de viol restent silencieuses et n'en parlent pas...", estime Alissa auprès de l'AFP. "Mais les 20% qui parlent, c'est déjà une victoire".
C'est en travaillant à un film dans la région de Donetsk en 2014, qu'Alissa, encore étudiante, est arrêtée par des séparatistes prorusses.
"Je quittais (la région) en taxi" le 15 mai 2014, "et c'est le chauffeur qui m'a dénoncée sur un check-point avec des séparatistes, en disant que j'étais avec des militaires ukrainiens peu avant".
"On m'a sortie de la voiture, et ils m'ont interrogée" pendant plusieurs jours, la menaçant de lui "couper les oreilles, les doigts".
Entre le 15 et le 18 mai, un officier - russe selon elle - l'emmènera dans un appartement à Kramatorsk. "Il m'a forcée à enlever mes vêtements, à entrer dans une baignoire et ensuite j'ai subi le viol...".
Pendant des années, Alissa n'a parlé à ses proches que de sa captivité. Ils n'ont appris que bien plus tard pour son viol, lâche-t-elle, très émue.
Selon SEMA Ukraine, la parole se libère peu à peu dans ce pays sur le tabou des violences sexuelles.
Daria explique avoir "d'abord décidé d'oublier cette expérience affreuse", mais faisait régulièrement des crises d'angoisse. Elle a ensuite pu recevoir une aide psychologique via SEMA Ukraine.
Elle a déposé plainte à l'étranger, mais préfère ne pas préciser dans quel pays.
Alissa n'a pas non plus bénéficié d'une prise en charge de l'Etat ukrainien, mais c'est sa rencontre en 2019 avec la fondatrice de l'ONG SEMA Ukraine et d'autres "survivantes" de viols qui lui fera réaliser "cette tache noire, ce traumatisme qui était resté en moi". Elle a déposé plainte auprès du procureur général d'Ukraine.
"On ne guérit pas après une telle expérience... on peut juste se sentir mieux", estime Alissa, qui confie faire encore des cauchemars.
Daria dit espérer que "les gens qui (lui) ont fait ça seront jugés un jour", mais sait que "les auteurs sont actuellement inatteignables car sur le territoire russe".
En attendant, "témoigner et aider d'autres femmes au sein de l'ONG, cela m'aide à me reconstruire", confie-t-elle.