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Le Parlement européen n'est qu'à cinq kilomètres de la cité strasbourgeoise de Cronenbourg. Mais dans ce quartier prioritaire de la ville, l'abstention devrait de nouveau atteindre des records, car la politique ne "parle pas et les habitants se sentent délaissés".
L'AFP achève à Strasbourg, capitale européenne, un périple de 1.000 kilomètres sur les routes de France à la rencontre des préoccupations des citoyens avant le scrutin du 9 juin.
Animateur social, Mohamed Khettab arpente depuis trois décennies "Cro" et ses difficultés: "l'emploi, la scolarité", les "familles monoparentales qui n'ont pas de problème d'éducation mais de parentalité".
Cronenbourg est un quartier paradoxal: le parc de la Bergerie sépare une partie tranquille et résidentielle de la cité plus difficile, où les galères s'accumulent et où la plupart des gens "n'iront pas voter" aux européennes, prévient-il. La distance avec la politique est "forte", plus encore avec Bruxelles.
A 11h30 sur le marché au pied des tours, place de Haldenbourg, il y a quelques affiches pour La France Insoumise, mais aucun parti politique ne tracte en ce vendredi matin pluvieux.
Plusieurs commerçants et clients expliquent qu'ils n'iront pas voter car ils n'ont pas la nationalité française.
Vendeur de coques de téléphones portables, le Pakistanais Ahmed Seleem ne peut pas s'exprimer dans les urnes mais aime bien Emmanuel Macron comme Marine Le Pen, "ça va" dit-il, car il veut que les gens "travaillent et respectent les lois".
A trois pas de là, les européennes "ne parlent pas" à Hayat Belhadj, une maman voilée, mais pour la présidentielle elle trouve Marine Le Pen "pas mauvaise en soi".
Un autre client juge à l'inverse qu'elle "a les mêmes idées que son père", Jean-Marie, et qu'ils disent que "tout ce qui se passe c'est toujours de la faute de l'étranger".
Mohamed Khettab pense aller voter le 9 juin. Aux dernières municipales, l'animateur de 52 ans, en jean et casquette, fut l'un des électeurs de la nouvelle maire écologiste Jeanne Barseghian, mais il est "un peu déçu". Il espérait "plus d'air" et de "verdure dans les quartiers qui ont besoin d'espace. Il y a trop de densité, tellement de monde que ça crée des tensions", souligne-t-il.
- "Elitiste" -
Une partie de Cronenbourg, la "cité Nucléaire", a été secouée par les violences urbaines qui ont embrasé la France au début de l'été 2023 après la mort du jeune Nahel, à Nanterre, en région parisienne.
Durant ces nuits de feu, Mohamed a vu "des jeunes tout à fait structurés qui n'ont rien à voir avec la délinquance. Ca pose question", raconte-t-il.
En fin de journée, il emmène en camionnette grise une dizaine de jeunes dans un atelier associatif innovant, dans un autre quartier de la ville, à la Meinau.
Bienvenue chez Speaker, un "média des quartiers" qui accompagne les jeunes dans des ateliers d'éloquence et leur confie du matériel dernier cri, micros, caméras, tours de montage, pour créer podcasts, blogs et vidéos.
"On leur explique que la chose publique appartient à tout le monde", qu'ils sont "légitimes à s'exprimer", en commençant par des sujets "très concrets du quotidien", décrit la présidente bénévole Nora Tafiroult, 45 ans et de l'énergie à revendre.
Elle aussi s'attend à une forte abstention dans des quartiers qui ont "l'impression" d'une "élection élitiste réservée à des fins connaisseurs".
Pourtant, beaucoup de jeunes "vivent l'Europe directement, il suffit de prendre le tram pour aller faire ses courses ou manger une glace de l'autre côté de la frontière", dans la ville allemande de Kehl, relève-t-elle.
Ravi de l'atelier radio, Sofiane, 19 ans, travaille dans le bâtiment après avoir lâché son BTS. Il aimerait bien voter "plus tard", mais il "ne sait pas" ce que sont les listes électorales, "les jeunes ne sont pas informés".
Sa voisine Marjene, 15 ans, ira aux urnes dès qu'elle aura l'âge, assure-t-elle. La jeune fille a "peur" de Marine Le Pen et aimerait bien que les autres responsables politiques "s'intéressent" à elle, qu'ils viennent "nous poser des questions".
De l'autre côté du spectre politique, Jean-Luc Mélenchon s'adresse-t-il davantage aux quartiers populaires ? "Son discours est compréhensible" et "il montre bien que les musulmans sont stigmatisés", considère Mohamed Khettab. Mais "est-ce un discours de façade ou le pense-t-il vraiment ? Je ne sais pas".