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En voulant effacer le dinar, le Kosovo parie gros

En voulant interdire les transactions en dinar serbe, le Kosovo, où l'euro est la monnaie officielle, prend le risque d'une nouvelle crise avec la Serbie.

Sur fond de réprobation des Occidentaux qui y voient une provocation inutile, la nouvelle réglementation, prévue pour entrer en vigueur le 1er février à minuit, pourrait toutefois être reportée.

"Je suis favorable à une mise en œuvre complète" de l'interdiction, a déclaré mercredi la présidente du Kosovo, Vjosa Osmani, à la presse. Mais "tout le monde sait que pour parvenir à une mise en œuvre complète, nous avons également besoin du soutien de nos alliés, afin d’assurer la stabilité".

Le président du Conseil d'administration de la Banque centrale, Bashkim Nurboja, a balayé toute possibilité de revenir sur la décision, mais laissé la porte ouverte à un report. "Nous en discutons, il n'y a pas encore de décision", a-t-il déclaré mercredi dans la matinée.

Le vice-Premier ministre, Besnik Bislimi, a annoncé une conférence de presse pour 14H00 GMT.

La nouvelle réglementation prévoit que "la seule monnaie acceptée pour les paiements en espèce ou les transactions au Kosovo est l'euro".

A la fin de la guerre en 1999, le Kosovo, alors province serbe, avait choisi le deutsche mark comme monnaie -le dinar yougoslave étant en train de disparaître. En 2002, lorsque l'euro a eu cours légal en Allemagne, le Kosovo a suivi pour en faire sa monnaie nationale de facto mais aucun accord formel n'existe avec l'Union économique et monétaire européenne.

Le dinar serbe est cependant toléré dans les zones majoritairement serbes. Son interdiction risque de raviver les tensions dans ces villes et villages où nombreux sont ceux qui travaillent ou ont travaillé pour les institutions serbes avec des salaires ou retraites payés en dinars.

Pour le journaliste et commentateur politique serbe Bosko Jaksic, ce sont les Serbes du Kosovo "qui vont souffrir le plus".

"Cela ressemble, selon moi, à une volonté du (Premier ministre kosovar) Albin Kurti de saboter le processus de négociation, qui semblait en bonne voie", explique-t-il à l'AFP. "Les conséquences diplomatiques et politiques (d'une telle décision) seront bien plus graves que les conséquences monétaires".

Pour Aleksandra Jovanovic, 37 ans, la fermeture des banques veut dire des trajets plus longs pour aller en Serbie effectuer ses opérations bancaires. "Ce n'est pas normal", dit, lasse, cette habitante de la ville partagée de Mitrovica. "Rien n'est normal".

"J'ai l'impression que tout le monde joue avec nous", regrette Zoran Ilic, un autre habitant de Mitrovica. "Personne ne nous dit rien ... J'en ai marre de la politique".

Belgrade, qui n'a jamais reconnu l'indépendance du Kosovo, proclamée en 2008, y soutient la communauté serbe, estimée à 120.000 personnes, via des emplois où des aides financières. Le budget de la Serbie prévoit chaque année environ 120 millions d'euros pour le Kosovo.

- Sabotage? -

Plusieurs gouvernements occidentaux ont d'ailleurs déjà fustigé la décision de Pristina et mis en garde contre un nouvel accès de fièvre.

"Nous sommes préoccupés par l'impact de la règlementation en particulier sur les écoles et les hôpitaux, pour lesquels aucun processus alternatif ne semble viable pour le moment", ont écrit les ambassadeurs de France, d'Allemagne, de Grande-Bretagne, d'Italie et des Etats-Unis dans une communiqué commun samedi.

"La règlementation aura également un impact direct sur la vie quotidienne de l'écrasante majorité des Serbes du Kosovo qui reçoivent des versements (et une) aide financière en provenance de la Serbie", ajoutent les ambassadeurs, en appelant à une "suspension de l'entrée en vigueur de la règlementation pour permettre une période suffisamment longue de transition et à une communication publique claire et efficace".

Mais personne a Pristina ne donne l'impression de vouloir reculer. Les autorités kosovares ont présenté cette nouvelle règlementation comme un moyen de lutter contre la corruption, le blanchiment d'argent et la fausse monnaie.

Le gouvernement serbe y voit seulement une provocation qui ferait probablement dérailler "une fois pour toutes" les négociations visant à normaliser les relations entre Belgrade et le Kosovo.

L'année 2023 a déjà été marquée par des pics de tensions entre la Serbie et le Kosovo. Au printemps, l'élection de maires albanais dans les zones serbes, avec 3% de participation, avait conduit à des manifestations dans lesquelles des soldats de l'OTAN ont été blessés. En septembre, la mort d'un policier kosovar et la découverte d'un commando sur-armé composé de Serbes avait encore une fois fait craindre une escalade violente.

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