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Le cinéma pour faire sortir la guerre au Soudan de l'indifférence: au Festival du film d'Assouan en Egypte, des réalisateurs et des acteurs soudanais témoignent du désespoir d'un peuple plongé dans des conflits sans fin.
"Il faut que nous parlions de nous et de nos problèmes passés sous silence, même via une simple production artistique", dit à l'AFP l'actrice soudanaise Eiman Yousif.
Un an de guerre sanglante entre généraux rivaux au Soudan ont mis à genoux ce pays du nord-est de l'Afrique, déjà l'un des plus pauvres avant la guerre.
Cinq courts-métrages soudanais sont présentés dans le cadre de la huitième édition du Festival du film de femmes d'Assouan, ville du sud égyptien à 300 kilomètres de la frontière soudanaise. Des acteurs et des réalisateurs soudanais de premier plan sont venus soutenir la production de leur pays.
Eiman Yousif est la révélation de "Goodbye Julia", le premier long-métrage soudanais présenté en 2023 en sélection officielle à Cannes.
Dans ce film, ayant pour trame de fond les événements ayant mené le Soudan du Sud à indépendance en 2011, l'actrice incarnait Mona, une chanteuse originaire du Nord ayant renoncé à sa carrière pour son mari.
"La sécession du sud a été un événement majeur et nous avons tous été atteints psychologiquement" par cette guerre, affirme l'actrice drapée dans une robe traditionnelle soudanaise blanche.
Au Soudan, l'industrie du cinéma a beaucoup souffert du régime conservateur, sécuritaire et liberticide de l'autocrate Omar el-Béchir renversé en 2019.
- Une production "résultat de souffrances" -
Sous ses trente ans de dictature de nombreux cinémas de la capitale Khartoum ou du reste du pays ont fermé leurs portes.
"On fait tout notre possible pour que la production cinématographique ne s'arrête pas à nouveau" dans un pays où "elle est le résultat de souffrances", explique à l'AFP le réalisateur soudanais Mohammed al-Tarifi en marge du festival.
Parmi les courts-métrages projetés à Assouan, "Une brique pour elles" du réalisateur Razan Mohamed raconte le destin sinueux de femmes déplacées en 2003 vers un camp de réfugiés pendant la guerre au Darfour.
"A l'heure où nous parlons, elles ont été déplacées pour une deuxième fois, on ne sait pas vers où", dit M. al-Tarifi.
Egalement à l'affiche, le film "Femmes de guerre" du réalisateur soudanais Al-Qadal Hassan qui traite de l'impact des guerres sur des femmes dans l'Etat du Nil Bleu (sud).
"Les guerres et les crises épuisent" mais elles sont aussi sources de "rêves et de nouvelles idées", dit Eiman Yousif.
Un an de guerre a dévasté le Soudan et fait des milliers de morts. Elle a aussi jeté plus de deux millions de Soudanais sur les routes de l'exil, dont 500.000 ont choisi l'Egypte.
"La diaspora génère de la créativité et la présence soudanaise au Caire s'accompagne d'un mouvement artistique très actif qui va permettre à davantage de productions de voir le jour", poursuit M. Tarifi.
Dans un Soudan avide de changements, un nouveau cinéma nourri par la révolution qui a chassé du pouvoir Omar el-Béchir a émergé.
En tête de ceux-ci, "Tu mourras à 20 ans", réalisé par Amjad Abou Alala, a été le premier film soudanais sélectionné aux Oscars et le premier à être diffusé sur la plateforme en ligne Netflix après avoir raflé plusieurs récompenses internationales, dont à la Mostra de Venise.
Dans ce long-métrage, un mystique soufi prédit la mort à 20 ans du protagoniste Muzamil, qui vit dans l'inquiétude, jusqu'à sa rencontre avec un vieux réalisateur misanthrope qui l'initie à l'hédonisme.
Un hymne à la liberté questionnant le rigorisme religieux, fait impensable il y a encore quelques années dans ce pays très majoritairement musulman.
Même si les salles de cinéma sont rares au Soudan, pour Eiman Youssif "il suffit d'un projecteur et d'un mur blanc pour montrer des films aux gens. Le plus important, c'est de regarder".