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La quête de justice des victimes d'infractions sexuelles peut se heurter à un douloureux classement sans suite mais, à l'image de l'affaire Benoît Jacquot, la plainte est désormais encouragée et l'enquête ouverte même lorsque les faits sont potentiellement prescrits.
Les derniers rebondissements de la médiatique affaire qui oppose l'actrice Judith Godrèche au réalisateur Benoît Jacquot illustrent le changement de pied de la justice face aux affaires de violences sexuelles.
Après la plainte pour viols sur mineures déposée en février par l'actrice, la justice parisienne a décidé d'ouvrir une enquête bien que les faits dénoncés aient eu lieu entre 1986 et 1992.
Au terme de la garde à vue de M. Jacquot, le parquet de Paris a annoncé mercredi sa mise en examen pour viols sur d'autres actrices, Julia Roy en 2013 et Isild Le Besco entre 1998 et 2000, des accusations que le cinéaste récuse.
La libération de la parole des victimes depuis le mouvement MeToo a amené le garde des Sceaux à inciter les parquets, en février 2021, à ouvrir des enquêtes lors de révélations d'infractions sexuelles commises sur des mineurs, même prescrites.
Une pratique suivie à Paris depuis longtemps et qui "commence à se généraliser en France", indique-t-on au parquet de Paris.
Premier objectif: vérifier si les faits sont vraiment prescrits, sachant que les délais varient selon leur nature et l'âge de la victime. "C'est très complexe car les délais de prescription ont changé ces dernières années", explique Jérôme Moreau, vice-président de l'association France Victimes.
Mais il s'agit aussi d'essayer de repérer d'autres victimes.
"Les prédateurs sexuels agissent souvent en série. Lorsqu'un entraîneur de sport a commis des infractions sexuelles sur des jeunes, il n'est pas rare qu'il en ait commis tout au long de sa carrière. La justice va procéder à une enquête d'entourage, regarder le parcours de vie de la personne", déroule Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'université Paris-Nanterre.
Même prescrites, les victimes précédentes viennent étayer le dossier, peuvent témoigner lors de procès plus récents.
Lors de l'affaire du père Preynat, les faits étaient prescrits pour les premiers plaignants, qui ont réussi à trouver des victimes plus récentes. Le prêtre a finalement été condamné en 2020 pour agressions sexuelles de dix anciens scouts.
- "On les respecte" -
"Avant, quand les faits étaient prescrits, on ne pouvait rien faire. C'était catastrophique pour les victimes. Les travaux de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ont montré l'importance d'accompagner les victimes", souligne M. Moreau.
"Elles ont besoin de s'exprimer devant une autorité publique. Cela veut dire qu'on les respecte, on les entend", appuie-t-il.
Pour Me Marie Blandin, avocate de victimes de violences sexuelles, "l'enquête vient insécuriser l'auteur dans son sentiment d'impunité lié à la prescription, qui était général pendant des décennies".
"La crainte de se faire attraper et incarcérer, c'est une forme de châtiment, qui doit cesser à un moment", explique au contraire à l'AFP Me Dylan Slama qui défend la ferme application du principe de prescription.
Ces enquêtes aboutissent à "un déni de justice pour les suspects comme pour les plaignantes car le suspect ne sera pas condamné, faute de preuves, difficiles à réunir après tant d'années", ajoute l'avocat qui a assuré la défense de l'acteur Richard Berry, accusé de violences sexuelles par sa fille avant que l'enquête ne soit classée sans suite.
L'enquête permet au mis en cause de "s'expliquer sur les accusations", de bénéficier de la "présomption d'innocence", fait valoir une circulaire de la Chancellerie.
Il est désormais préconisé au parquet d'expliquer sa décision à la victime, en la recevant ou par le biais d'associations. Le juge spécifie les raisons du classement, précise s'il n'y a pas d'infraction ou si le délai fixé par la loi pour la juger est dépassé.
"Un classement judiciaire ne veut pas dire que les faits ne se sont pas produits ou qu'on ne croit pas la victime ou que le suspect est innocent. Cela signifie que la justice ne peut pas poursuivre", rappelle Mme Darsonville.
"Recevoir par courrier une feuille de papier marquée +classement sans suite+, c'est violent. En parler avec la victime (...) cela participe de la réparation", ajoute-t-elle.