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"J'ai voulu redonner vie à un extraordinaire rendez-vous manqué de l'histoire de la musique", raconte le chef d'orchestre Raphaël Pichon qui présente jeudi "Samson", un opéra censuré et perdu qu'il a "réagencé" pour le Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence.
Création mondiale, ce "Samson" 2024 peut "avoir quelque chose à nous raconter de nous-mêmes aujourd'hui", estime-t-il. Il touche "à la question de l'expression de la foi, du fanatisme, de la destinée politique, de l'ambivalence de la nature humaine".
Le maestro, à la tête de l'Ensemble Pygmalion, spécialiste de musique baroque et grand admirateur de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), a été invité par le festival à travailler avec le metteur en scène Claus Guth.
Les deux hommes se mettent d'accord pour un projet autour de "Samson".
Il faut savoir que cette tragédie lyrique en cinq actes et un prologue, composée en 1733 sur un livret de Voltaire, a été censurée l'année suivante. "Cet opéra ne verra pas le jour parce qu'il est taxé d'impiété, de s'arranger avec la vérité biblique", explique le maestro à l'AFP.
Malgré une deuxième tentative, l'opéra est interdit, la partition perdue et le livret tel que Voltaire l'a écrit disparaît lui aussi.
Toutefois, ajoute le chef d'orchestre qui s'est appuyé sur la correspondance entre Voltaire et Rameau, ce dernier "aurait réutilisé une large partie de la partition de +Samson+ dans les opéras qu'il va écrire après": "Les Indes galantes", "Les fêtes d'Hébé" et "Castor et Pollux".
Pour lui a donc commencé "un jeu de piste": il fallait "essayer d'avoir quelques intuitions sur les grandes scènes qui pourraient être tirées de tel ou tel opéra" postérieur à "Samson" et dans lequel Rameau aurait disséminé sa musique.
De son côté, Claus Guth élabore un scénario, "un squelette de livret". "Des morceaux épars" sont collectés... Et le tout donne "naissance à une première partition".
"Ce n'est pas une reconstitution", prévient Raphaël Pichon qui juge avoir plutôt "réagencé" de la "grande musique" et "redonné vie" à ce projet, en gardant son esprit.
- musique électronique -
Pour cette "aventure hors du commun", il s'est attaché à ce que l'oeuvre réinventée "ne sente pas la couture" artificielle.
La mezzo-soprano franco-italienne Lea Desandre joue le rôle de Timna dont Samson tombe amoureux. "Un rôle qui a été complètement inventé", déclare-t-elle à l'AFP. Pour tous, sur le plateau, "il a fallu nourrir" notre personnage en faisant "appel à notre créativité".
Pour cela, Raphaël Pichon et Claus Guth ont aussi pu s'appuyer sur des indications données par Voltaire, glissées à la fin de sa vie dans l'anthologie de ses oeuvres. Le pamphlétaire y évoque un "Samson" qui "donne les noms de personnages, un vocabulaire et une petite idée de ses choix dramaturgiques".
Jusqu'au 18 juillet, le public pourra voir une oeuvre "compacte" (2h20, soit beaucoup moins que les 3h30, durée moyenne des opéras de l'époque), "nerveuse", sans lieto fine (fin heureuse en vogue dans les opéra du XVIIIe siècle), raconte le maestro. "Très électrique" aussi, avec l'ajout de musique électronique et avec "le chœur comme un personnage central".
Le baryton américain Jarrett Ott joue Samson, la soprano américaine Jacquelyn Stucker interprète Dalila et l'actrice Andréa Ferréol représente la mère de Samson, en texte, sorte de fil rouge tout au long de l'oeuvre.