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Dans une église de l'Amazonie bolivienne était caché l'un des rares opéras baroques écrits en langue indigène, il y a près de trois siècles, dans un dialecte aujourd'hui en voie de disparition, le bésiro, qu'a fait revivre un orchestre symphonique.
Devant l'autel de l'église de San Javier, dans le département de Santa Cruz, à 850 km à l'est de La Paz, les cantatrices Yhorgina Algarañaz et Carla Pereyra, tuniques noires et fausses barbes, entonnent : "Siromati ape, asaraimia nuxia nipoxti Tupax" (Viens au ciel voir si la maison de Dieu est bonne).
A la fin de la représentation, le public applaudit debout à tout rompre.
C'est la première fois que l'opéra "Saint François Xavier" est joué depuis la découverte de ses partitions dans les années 1970 par l'architecte suisse Hans Roth.
Il s'était rendu en Bolivie pour restaurer des temples jésuites en Amazonie et au cours de sa mission avait découvert des milliers de partitions en espagnol et un unique opéra écrit en bésiro.
Selon les historiens, l'œuvre date de 1740 et a été écrite par un indigène évangélisé qui reste inconnu, l'oeuvre n'ayant pas été signée.
"C'est une petite première mondiale", se réjouit Eduardo Silveira, Cubain de 55 ans et metteur en scène de ce qui est considéré comme le seul opéra en bésiro connu jusqu'alors.
Le bésiro est l'une des langues des Chiquitanos, peuples indigènes regroupés par les Jésuites en Amazonie au XVIIIe siècle.
C'est l'un des 37 dialectes officiellement reconnus en Bolivie, même si aujourd'hui il n'est pratiquement plus parlé que par les anciens.
C'est aussi l'un des sept dialectes menacés de disparition, selon l'Institut gouvernemental plurinational d'étude des langues et des cultures.
- "On va continuer" -
Il y a un an, Eduardo Silveira et son orchestre symphonique de jeunes, avec l'aide du prêtre et historien polonais Piotr Nawrot, se sont attelés à donner forme à l'oeuvre musicale, dont les partitions étaient conservées par les Chiquitanos dans l'église de San Rafael, à quelque 300 km de San Javier.
Aux violons et violoncelles de la musique baroque, ils ont ajouté des tambours et d'autres instruments indigènes comme le "sananax", une sorte de trompette en bambou.
Mais "reconstituer la musique n'était pas aussi compliqué que remettre en forme les textes, surtout dans une langue étrange que je ne comprends pas et que peu de gens parlent", explique M. Nawrot, 69 ans, qui avec l'aide d'autres spécialistes a reconstitué le texte original abîmé par le temps, dont des passages manquaient, comme des locuteurs capables de recontextualiser une langue qui en 200 ans avait évolué.
Il a fallu un an aux deux cantatrices pour se familiariser avec le bésiro, langue qu'elles ne parlaient pas.
Elles ont appris les paroles par coeur mais ont passé du temps "avec des personnes plus âgées pour savoir comment le parler (...) parce qu'en plus d'être soliste, j'étais curieuse de l'apprendre", raconte Yhorgina Algarañaz, 18 ans ans, qui alternait sa préparation avec son travail au marché, où elle tient un étal de fruits et des légumes.
La pièce a finalement vu le jour à la fin du mois d'avril autour d'une soirée spéciale et d'autres représentations sont désormais prévues. "On va continuer, c'est notre mission désormais", affirme le metteur en scène Eduardo Silveira.