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La tonte s'achève: nu et un peu sonné, Germain, solide mouton de race mérinos, s'ébroue et retourne dans son box. Malgré ses qualités durables, écouler la laine n'a jamais été aussi difficile pour les éleveurs qui dénoncent une filière complètement en panne.
Les "mêh !" des brebis fusent des enclos garnis de paille. En ce début de printemps, l'"agnelage" bat son plein et les bergeries sont pleines à craquer dans les fermes de montagne iséroises. Ici, comme partout en France, la plupart des bêtes sont destinées à la production de viande ou de lait.
Leur laine, tondue chaque année, qui représentait jadis une ressource économique importante et multi-usages dans les foyers, a perdu son statut. Dégradée au rang de "sous-produit animal" par la réglementation européenne, elle est devenue une charge pour beaucoup d'éleveurs qui ont vu disparaître leurs débouchés ces dernières années.
"J'en avais 9 tonnes stockées chez moi, j'ai fini par la donner via le Bon Coin", relate Grégory Vezain, tondeur professionnel. D'autres la brûlent ou l'enterrent, ce qui est à la fois illégal et une "aberration écologique", déplore-t-il.
Le cheptel ovin français est estimé à 7 millions de bêtes, produisant chaque année quelque 10.000 tonnes de toisons, selon la profession. Mais seule une part infime (4%) est aujourd'hui valorisée en France.
- "Matériau de l'avenir" -
Détrônée par les fibres synthétiques et végétales, la filière lainière a perdu ses dernières unités industrielles dans les années 80 et ses savoir-faire se sont délités, poussant les négociants à se tourner vers des marchés à l'étranger.
Puis la crise du Covid a fait plonger les cours et se tarir les exportations vers la Chine, conduisant à une accumulation de stocks de laine chez les exploitants.
De quoi agacer Aline Robert, bergère et éleveuse, pour qui il est évident que "la laine, c'est le matériau de l'avenir". Outre sa viande d'agneau, elle vend dans sa ferme au pied du massif de l'Oisans des pelotes et sous-pulls 100% mérinos, fabriquées via l'association Mérilainos qui regroupe une vingtaine de petits éleveurs.
La laine regroupée de leurs brebis est envoyée à Biella (Italie) où elle transformée en fil et en vêtements. Ces ventes leur fournissent un complément de revenu et le collectif "permet d'amortir les risques", explique-t-elle.
Nicolas Champurney, éleveur en viande bio dans le Vercors, fait lui aussi transformer une partie de sa laine en chaussons, semelles et autres petits objets du quotidien, qu'il vend avec succès sur les marchés.
Pour valoriser jusqu'au bout sa matière, il envisage de fabriquer des pellets d'engrais avec les résidus. "Mais il n'y a pas de filière en France, on va essayer en Suisse", regrette-t-il.
- "Destruction politique" -
De nombreuses autres petites initiatives du même type existent en France, survivant souvent grâce à l'action de passionnés. Mais elles ne sauraient suffire pour relancer la filière laine, estime la Confédération paysanne, qui réclame un "changement complet de paradigme".
"La destruction de la filière lainière a été politique. Sa reconstruction le sera donc aussi", martèle le syndicat qui insiste en premier lieu sur la nécessité de réintroduire la matière au programme de l'enseignement agricole, dont elle a quasiment disparu. Ses autres revendications concernent la création de centres de collecte de la laine et l'accompagnement par l'Etat des initiatives locales permettant la rémunération du producteur.
Le gouvernement s'est lui aussi emparé du sujet et a fait rédiger l'an dernier un rapport avançant plusieurs recommandations dont l'utilisation de la laine comme isolant bio-sourcé. Il a aussi chargé l'association à vocation interprofessionnelle Tricolor d'écrire une "feuille de route", annoncée pour le 16 mai.
Mais cela ne suffit pas à rassurer la Confédération paysanne qui dit craindre une "opération de communication" et une "reproduction à l'identique des erreurs du passé". Pour au final "détourner des financements publics au détriment des initiatives locales que nous soutenons".
Pour relancer la filière laine, "il n'y a pas de recette magique", résume l'éleveuse Aline Robert en tâtant la toison de Germain. "Ce sera un travail de longue haleine."