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A Bruges, le prestigieux Collège d'Europe forme depuis soixante-dix ans le gratin des fonctionnaires de l'Union. Dans ce bastion du rêve européen, les sirènes populistes, qui pourraient déferler sur l'UE dimanche, n'ont séduit personne.
Fondée en 1949, alors que l'Europe d'après-guerre sortait lentement des décombres, cette école avait pour objectif premier de former une nouvelle génération qui se battrait pour la paix.
Mais alors qu'un peu plus de 400 millions d'Européens sont appelés à voter cette semaine, les guerres sont des souvenirs lointains et l'idée d'une élite bienveillante qui guiderait le continent s'est effritée, remettant en question le principe fondateur de l'école.
De la Française Marine Le Pen au populiste hongrois Viktor Orban en passant par le leader italien de l'extrême droite Matteo Salvini, les eurosceptiques du continent dénoncent Bruxelles - et les diplômés de Bruges - comme un fléau pour l'Europe.
Il en faut cependant plus pour ébranler les convictions du directeur du Collège d'Europe, l'Allemand Jörg Monar, qui reçoit l'AFP dans son bureau au coeur du centre médiéval de la "Venise du Nord".
"Nous ne sommes pas une école du fédéralisme européen où tout le monde doit jurer de défendre l'idée des Etats-Unis d'Europe", plaisante Monar, qui dirige le Collège depuis 2013.
"Depuis le début, l'idée a été de faire en sorte que les étudiants ---cette année 57 nationalités différentes-- vivent vraiment ensemble", explique-t-il.
Son bureau est rempli d'objets anciens, dont une carte en lambeaux de l'Europe juste avant la Première Guerre mondiale et le portrait d'un Napoléon Bonaparte pré-impérial, cheveux au vent.
"Dans nos échanges quotidiens, nous cherchons à nous comprendre... Dire que nous ne nous entendrons jamais n'est pas une option", ajoute-t-il.
En 2019, le Collège de Bruges compte 330 étudiants originaires principalement de pays européens. Les frais de scolarité s'élèvent à 25.000 euros, souvent réduits grâce à l'octroi de bourses.
Les Français forment une grande partie du contingent: ils sont 65 cette année, soit un étudiant sur 5.
En 70 ans, le collège a formé des milliers de fonctionnaires, de lobbyistes et de politiques, rompus à l'art du compromis de l'Union: parmi eux, l'ancien Premier ministre danois Helle Thorning-Schmidt, l'ex vice-premier ministre britannique Nick Clegg et, plus inattendu, l'écrivain français Olivier Guez.
En cette matinée brumeuse, la plupart des étudiants se trouvent dans la bibliothèque, révisant pour les examens.
- "A l'abri du débat" -
"Dans cette école, on peut se créer un important réseau", constate Erica Duffy, Irlandaise de 24 ans, assise sur un grand canapé, au milieu d'épais manuels scolaires.
Une fois leurs études terminées, plus de la moitié des diplômés trouveront un emploi à Bruxelles, soit dans les institutions européennes, les entreprises de lobbying ou les ONG.
Même si leur avenir professionnel domine les conversations, les doutes engendrés par le populisme sont bien présents dans les salles de classe.
"Le Brexit et tous ses rebondissements ont beaucoup occupé nos discussions", constate Vincent Delhomme, jeune chargé de cours français. Il se souvient encore du choc du référendum il y a trois ans.
"Maintenant, une sorte d'optimisme raisonné l'a emporté. Je ne sens pas d'inquiétude profonde sur la valeur de notre diplôme", ajoute-t-il.
Pour l'ancien étudiant Leo Hoffmann-Axthelm, Germano-italien aujourd'hui à Transparency International à Bruxelles, le succès du collège est surtout dû au manque d'expertise des affaires européennes dans les capitales nationales. Le niveau y est selon lui "scandaleusement bas", même chez les diplômés des meilleures universités.
Clément Beaune, conseiller Europe d'Emmanuel Macron, est aussi passé par Bruges avant d'entrer à l'ENA, fabrique de la haute administration à la française, que le président veut désormais supprimer.
Le Collège d'Europe "est un peu différent de l'ENA. Il est moins connu et nous sommes donc à l'abri du débat", estime Louise Guillot, Française qui envisage une carrière dans les institutions européennes.
Mais l'entrée dans l'administration de l'UE n'est pas garantie pour les diplômés de Bruges. Ces emplois sont désormais soumis à des tests d'admission difficiles nécessitant des connaissances générales et pas seulement une expertise de l'UE.
"Par le passé, le Collège avait la réputation d'être la voie royale pour accéder aux institutions de l'UE", reconnaît M. Monar. Désormais, il souhaiterait que les diplômés travaillent plutôt dans les capitales, pour faire profiter de leur expertise : "Ce serait notre réponse au populisme".