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"Exigeant", "sérieux", parfois "volcanique" pour défendre droits et libertés: l'ancien ministre chiraquien Jacques Toubon a largement surpris au poste de Défenseur des droits, une institution dont il a renforcé le rôle de "vigie" et qu'il quittera mi-juillet, après six ans de mandat.
Sa nomination par François Hollande en 2014, pour remplacer Dominique Baudis, décédé en fonction, avait suscité des remous. Beaucoup à gauche et parmi les associations ne voulaient pas de cet ancien cadre du RPR, qui avait refusé de voter l'intégralité de la loi abolissant la peine de mort et s'était opposé à un contrat civil pour les homosexuels dans les années 1980.
Ses anciens détracteurs concèdent aujourd'hui une erreur.
"Je suis véritablement heureux de m'être trompé à son sujet. On perd un grand Défenseur des droits", confie à l'AFP le porte-parole d'EELV Julien Bayou, qui avait envoyé en 2014 un "Que sais-je ?" sur les droits et libertés fondamentaux à l'ex-ministre de la Justice.
Lorsque M. Toubon prend ses fonctions, l'institution est encore surtout un "démineur des discriminations du quotidien", héritier de l'ex-Médiateur de la République malgré des compétences beaucoup plus larges: relations entre les usagers et les services publics, lutte contre les discriminations, droits de l'enfant, déontologie des forces de l'ordre, protection des lanceurs d'alerte.
Au gré de l'actualité, via ses rapports et avis consultatifs, l'ancien ministre de la Culture renforce le rôle de "vigie" des droits et libertés. Face à deux états d'urgence, après la vague d'attentats et lors de l'épidémie de nouveau coronavirus, il s'élève à chaque fois contre la pérennisation de ce régime d'exception.
Au-delà de ses alertes sur "l'évanescence" des services publics, il dénonce les contrôles au faciès, réclame bien avant le mouvement des "gilets jaunes" et ses multiples éborgnés l'interdiction des lanceurs de balle de défense (LBD). Ou pointe encore la "dimension systémique des discriminations" en France.
En pleine crise migratoire, il critique sévèrement la gestion des campements et l'accueil réservé aux mineurs étrangers. L'engagement de ce licencié en droit public, qui s'est rendu à Calais, est largement loué.
"C'était un Défenseur des droits impliqué, exigeant et réactif, qui portait les dossiers avec sérieux", relate Corinne Torre, responsable de Médecins sans Frontières en France.
Son mandat a été "une heureuse surprise", abonde l'avocat Patrice Spinosi, spécialiste des libertés publiques.
- "Au bon endroit" -
Sa trajectoire crispe son ancienne famille politique. Le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau fustige ses "positions très idéologiques, à l'opposé d'ailleurs de toute sa carrière politique", et soupçonne le chiraquien de vouloir "se racheter sur le tard."
Le verbe haut de M. Toubon a également agacé dans les ministères, particulièrement à l'Intérieur. Face à la remise en cause de la doctrine du maintien de l'ordre, Christophe Castaner l'a ainsi accusé de mener "un combat manifestement plus personnel que collectif".
A 79 ans, l'intéressé, qui devrait être remplacé par la présidente d'ATD-Quart Monde Claire Hédon, semble s'amuser de ces critiques.
Lors de sa dernière conférence de presse mercredi, M. Toubon a rappelé que le Défenseur des droits a "l'absolu des droits" pour "gouvernail", et non pas le "principe de réalité" appliqué par les gouvernants.
"Ce qui a évolué, ce n'est pas le fond de mes idées, mais les conditions dans lesquelles j'exerce", expliquait-il début juin. "La position de liberté et d'indépendance est une position que je n'avais jusqu'à maintenant jamais connue".
M. Toubon "a progressivement fait la démonstration qu'il était la bonne personne au bon endroit", estime François Hollande auprès de l'AFP. L'ex-président socialiste voulait nommer une personnalité d'opposition, car "défendre le droit et les droits, ce n'est pas l'apanage d'une famille politique, c'est le devoir de la République."
Il a choisi le chiraquien pour ses "positions courageuses et indépendantes" lors de son mandat de député européen et de sa présidence du musée de l'Histoire de l'immigration dans les années 2000. Et son "tempérament volcanique". "Je savais qu'il veillerait à être non seulement indépendant et libre, mais aussi qu'il ne garderait pas sa langue dans sa poche."
"Le seul problème, c'est qu'au-delà de la communication, il n'a pas beaucoup de pouvoir", regrette Yann Manzi, cofondateur d'Utopia 56. L'associatif, défenseur des migrants, déplore que les alertes du Défenseur des droits, "ne soient pas assez suivies d'effets".