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Laura a 35 ans. Maman de deux petites filles, elle est installée depuis plusieurs années en région namuroise. Depuis plusieurs mois, elle est célibataire. Comme des milliers de jeunes hommes et jeunes femmes avant elle, elle a tenté l’aventure des applications de rencontre. Mais l’homme qu’elle y a trouvé a tout fait pour la mener en bateau.
Ohé, ohé capitaine abandonné
Quand elle "matche" avec Maurice, Laura est loin de s’imaginer qu’elle tombe sur un baratineur. Le courant passe bien entre les deux. Il dit qu’il habite à Leuven. Elle répond qu’elle ne parle pas bien le néerlandais. Ils s'écrivent en anglais. Laura lui parle de ses deux filles. Maurice lui parle de son enfant. "Nos conversations étaient banales, tout à fait normales pour des gens qui discutent sur Tinder" explique la jeune femme. "On s’est parlé de nos quotidiens ; il m’a demandé ce que je faisais dans la vie et inversement". C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’un premier doute, vite balayé, apparaît dans l’esprit de Laura : "Quand il m’a parlé de son métier, il m’a dit qu’il travaillait sur un bateau, qu’il était capitaine. J’ai trouvé ça étonnant, je me suis demandé si c’était vrai. Mais après tout, c’était improbable mais pas impossible. Ça ne faisait pas de lui un arnaqueur".
La conversation continue. Les deux tourtereaux passent de la messagerie de Tinder à Whatsapp, "parce que c’est plus pratique". Ils ne se sont toujours pas rencontrés mais ils ont établi une relation qui semble saine. Suffisamment, semble-t-il, pour inciter Maurice à tenter son piège.
"Il y a énormément de pirates dans la région"
A la fin du mois d’avril, les deux tourtereaux en devenir discutent. Laura est chez elle, Maurice est en mer. Elle prend des nouvelles de lui, il ne va pas bien. Le problème ? Un élément de moteur: "La mer était très agitée et la turbine à gaz est détruite. Avec les autres membres de l’équipage, nous avons tenté tout ce qu’on pouvait pour la réparer mais impossible. Nous avons été obligés de nous arrêter et de jeter l’ancre au milieu de nulle part. Et il y a énormément de pirates dans la région. Tout le monde à bord se fait du souci” écrit-il à notre témoin. Et Maurice a –évidemment– besoin d’aide.
Un petit service de rien du tout
Il demande à Laura de lui rendre un service. Un petit service de rien du tout. Elle doit juste envoyer un email à une société qui devrait pouvoir fournir à Maurice le matériel dont il a besoin. Il est convaincant, ça n’a pas l’air compliqué. Maurice transmet une adresse, un ‘message-type’ et même des coordonnées GPS pour permettre de le retrouver. Des coordonnés qui pointent, effectivement, le milieu de nulle part. Une zone au cœur de la Mer d’Arabie, plus ou moins à mi-chemin entre les Maldives et les côtes d’Oman. Si Laura se méfie ? Un peu, mais pas assez. "Si nous avions discuté en français, je pense que j’aurais fait plus attention. J’aurais été alertée, j’aurais trouvé ça étrange. Mais comme nous échangions en anglais, je n’ai pas été attentive". Au départ, la demande de Maurice se limite à un simple e-mail à envoyer. Rien d’engageant ou de contraignant. D’où la réaction de Laura : "Je me suis dit qu’envoyer un e-mail, ça ne me coûtait rien et que je pouvais bien faire ça".
Laura écrit donc à Patricia, le contact que Maurice lui a donné. Elle lui répond, rapidement. Une fois de plus, tout est fait pour mettre Laura en confiance. La société pour qui travaille Patricia a l’air d’exister. Quand Laura évoque ce problème de turbine rencontré par Maurice en pleine mer, Patricia lui répond avec une liste de matériel, en lui demandant des précisions sur le modèle nécessaire. Laura revient vers Maurice, lui demande plus d’explications. Elle s’étonne quand même du fait que Maurice ne puisse contacter personne…mais parvienne à lui écrire via Whatsapp. "Au final, ça a duré longtemps cet échange, se souvient Laura. J’envoyais un mail, on me répondait en me posant plus de questions…Jusqu’au moment où on m’a dit que c’était ok, que Maurice pouvait avoir sa pièce de rechange mais que le virement ne passait pas". Comme par hasard.
Pas capable d'envoyer un e-mail...mais pas de problèmes pour se connecter à Whatsapp...
Laura se retourne donc vers Maurice, qui dit tenter de réaliser le paiement. Depuis son bateau, au milieu de la mer d’Arabie, avec Whatsapp comme seul moyen de communication. Sans grande surprise, le virement ne passe pas. Sans lui demander –dans un premier temps– de service supplémentaire, Maurice continue de tisser sa toile autour de Laura. Ils discutent relations longue distance ; ils se disent qu’ils doivent se voir la prochaine fois que Maurice sera en Belgique. Laura s’excuse déjà, à l’avance, pour son niveau d’anglais basique.
Et puis Maurice revient à la charge. Il explique que ses tentatives pour payer le fournisseur ont échoué. Pour "voir si son compte en banque fonctionne bien", il propose de virer de l’argent à Laura. Il a donc besoin de ses identifiants bancaires, de son numéro de compte, etc. "Il m’avait mise en confiance, concède, un peu gênée, Laura. Quand j’y repense maintenant je me trouve bête, mais sur le moment j’étais entraînée dans l’histoire".
"Il m'a demandé si je ne pouvais pas demander à quelqu'un de me prêter de l'argent"
Ce qui va vraiment mettre la puce à l’oreille de Laura, c’est l’insistance de Maurice. "Le truc c’est qu’on était le week-end de Pâques, se souvient la jeune fille. Je lui ai dit que de toute manière, le virement n’allait pas passer et qu’il fallait attendre l’ouverture des banques. C’est là qu’il a vraiment insisté, qu’il m’a demandé si je ne pouvais pas demander à quelqu’un de me prêter presque 2000 euros…". Maurice persévère. Il évoque un service de transfert comme Western Union qui permettrait d’aller plus vite. Mais c’est trop tard. Quelque chose s’est brisé dans la relation que Laura pensait avoir mise sur pied. "Je lui ai redemandé s’il n’y avait pas une radio sur le bateau. De nombreuses fois, je lui ai demandé pourquoi il ne contactait que moi. Puis j’ai trouvé ça trop bizarre et j’ai laissé tomber, j’avais un mauvais pressentiment".
"Il doit y avoir des gens avec qui ça fonctionne"
Le lendemain, Maurice écrit encore. Laura ne répond plus. Le soi-disant marin semble avoir compris, parce qu’il n’a pas insisté. Leur relation s’arrête donc là. "Au final, il n’a eu qu’une photo de ma carte de banque, pas les codes. Il n’a rien pu faire avec. Moi je n’ai rien donné mais j’imagine que s’il a fait tout ça, c’est qu’il y a des gens avec lesquels ça fonctionne".
Est-ce réellement le cas ? Nous avons posé la question à Olivier Bogaert, commissaire à la Computer Crime Unit. "Ce genre d’arnaque ou de tentative d’arnaques est très difficile à quantifier, précise le policier spécialiste en criminalité informatique. Dans de très nombreux cas, les victimes ne veulent pas en parler. Soit à cause d’un sentiment de gêne, de mal-être de s’être fait avoir ; soit parce qu’elles ont une prise de conscience et qu’elles ont stoppé les frais avant de vraiment se faire avoir". Les arnaques aux sentiments, cela existe depuis longtemps. Leur nombre a-t-il augmenté avec le développement et la démocratisation des applications de rencontre ? "Difficile à dire, une fois de plus, les victimes ne portent pas souvent plainte" ajoute Olivier Bogaert. Un bon indicateur est le site communautaire français signal-arnaques.com. Des internautes victimes y listent des informations sur les arnaqueurs. Le site répertorie près de 2300 signalements récents de nouvelles arnaques. "Si vous avez un doute sur quelqu’un que vous venez de rencontrer, passez toujours son nom dans le moteur de recherche du site" conseille toujours Olivier Bogaert. Mais cette liste n’est ni exhaustive, ni infaillible. Les informations se rapportant à Maurice ne donnent d’ailleurs aucun résultat. Par ailleurs, les conseils de base restent évidemment d’application. Ne vous sentez pas trop vite en confiance avec ceux que l’on rencontre sur internet. Et surtout ne communiquez jamais des informations personnelles, à fortiori des informations bancaires.
"Si j'avais eu l'argent, peut-être que bien que je lui aurais envoyé"
Et Laura, quelques semaines après cette mésaventure, comment se sent elle ? "A la fois je trouve que j’ai été bête et en même temps j’ai l’impression d’avoir mis toutes les chances de mon côté pour me protéger. Mais si j’avais eu l’argent sur mon compte, peut-être bien que je lui aurais envoyé".
C’est pour ça qu’elle a tenu à témoigner via le bouton orange Alertez-nous. Pour ne pas que d’autres, plus naïfs, se fassent avoir. "Parce que la technique est rôdée, tout avait l’air vrai et il m’a quand même parlé pendant plusieurs semaines. Il a pris le temps de se créer une vie" déplore Laura. La jeune femme assure que c’est sa seule mésaventure sur une application de rencontre. Mais qu'elle n'y a toujours pas trouvé ce qu'elle cherchait.