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Droguée par son mari et "donnée" à des dizaines d'inconnus. L'histoire de Gisèle Pélicot met en lumière le phénomène de soumission chimique dans les affaires de crimes sexuels. De quoi s'agit-il? Que dit la loi belge?
"Administrer des substances psychoactives à l'insu de la victime ou sous la menace, pour commettre un crime ou un délit." Telle est la définition de la soumission chimique selon l'agence française de la santé (ANSM). On ne parle pas ici uniquement de crimes sexuels, mais force est de constater que ceux-ci sont les plus majoritairement concernés.
Pour mieux comprendre cette notion, nous avons questionné l'ASBL Modus Vivendi. Louise Moraldy, chargée de la promotion du consentement et de la lutte contre les violences sexistes, précise qu'il faut distinguer la soumission chimique et la vulnérabilité chimique: "On parle de vulnérabilité quand un agresseur profite de l'état de fragilité d'une victime qui a consommé volontairement une substance psychoactive."
Dans tous les cas, "la consommation de drogue, volontaire ou pas, n'est jamais la cause d'une agression", ajoute notre interlocutrice. "Une violence sexuelle n'est jamais la cause de la victime", souligne-t-elle.
Que dit la loi belge?
Si Louise Moraldy insiste sur ce dernier point, c'est parce que, explique-t-elle, on remarque que certaines victimes, sous l'effet de substances, ne portent pas plainte par culpabilité: "Cela peut s'expliquer par un manque de souvenir, qui ne leur permet pas d'identifier les responsables. Car l'effet des substances a diminué leurs capacités de résistance. Ou à cause de la stigmatisation des consommations de drogues et de leur caractère illégal."
Pourtant, aux yeux de la loi belge, la soumission chimique est une circonstance aggravante. Caroline Poiré, avocate formée à la prise en charge des victimes de violences sexuelles et intrafamiliales explique: "Il y a une infraction de base, un viol ou une atteinte à l'intégrité sexuelle et la victime doit prouver qu'il a eu un acte non-consenti qui a été rendu possible par l'administration de substance."
Elle rappelle qu'il "n'y a pas de consentement lorsque la victime est sous l'influence de substances psychotropes ou toute autre substance qui en fait aurait un effet similaire".
Avec ça, un agresseur encourt entre 15 et 20 ans de réclusion. Mais ce n'est pas si facile à prouver, ajoute Caroline Poiré: "C'est d'autant plus difficile pour une victime quand il y a eu des substances désinhibantes parce qu'elle ne se souvient pas de tout. Or, on lui demande de fournir le plus de détails possibles. En droit pénal, la simple suspicion ne suffit pas."
Inconnus, GHB: des stéréotypes déconstruits
Il y a quelques années, le mouvement #balancetonbar avait soulevé la problématique en milieu festif. Le procès des viols de Mazan qui est en cours en France interroge aujourd'hui sur l'aspect privé de ce phénomène.
C'est d'autant plus interpellant que selon Louise Moraldy "dans la plus grande majorité des cas, les violences sexuelles facilitées par un produit psychoactif sont commises par des proches dans un cadre privé". Pour Caroline Poiré, il est essentiel de déconstruire les stéréotypes selon lesquels les violeurs sont des inconnus qui prennent leurs victimes par surprise dans une ruelle sombre: "La plupart des victimes connaissent leurs agresseurs, il faut informer là-dessus", dit-elle.
Autre idée reçue démontée: le GHB, surnommé la "drogue du viol", n'est pas la première substance utilisée dans le cadre de la soumission chimique. "C'est un produit qui est difficile à manipuler et qu'on ne trouve pas facilement. Ce sont avant tout les drogues légales qui sont utilisées comme l'alcool ou les médicaments", avance encore Louise Moraldy.
Elle précise que lorsque des produits psychoactifs sont utilisés, on parle alors plutôt de MDMA ou de cocaïne, soit "les plus couramment en circulation".
Selon les chiffres de la police fédérale datant de 2023, il y a eu 141 cas de soumissions chimiques avérées sur les 4.009 procès-verbaux enregistrés pour viol en Belgique. Plus de la moitié des agresseurs (54,61%) ont utilisé des drogues légales sur leurs victimes. Des chiffres qui sont "à prendre avec des pincettes" car probablement sous-estimés, dit Louise Moraldy. En cause, le nombre de victimes qui restent sous silence.
Prendre des précautions et reconnaître les signes
On vous a sans doute déjà conseillé de surveiller votre verre en soirée ou de ne pas accepter une boisson proposée par une personne inconnue pour éviter ce genre de problèmes. Dès lors, que faire pour lorsqu'il est question d'une personne de votre famille ou d'une personne de confiance?
C'est pour cette raison que l'ASBL Modus Vivendi préconise "l'éducation à une sexualité épanouie plutôt qu'une solution pansement qui demanderait à la victime de prendre des précautions".
Pour reconnaître les signes d'une éventuelle tentative de vous droguer ou de vous désinhiber, il n'y a pas de "liste exacte", cela dépend de plusieurs critères: "Il faut s'inquiéter quand on décèle un effet disproportionné par rapport à ce qu'on a ingéré ou pas. En général, le trou noir est un bon indicateur", explique Louise Moraldy.
Les conseils de la police si vous pensez avoir été drogué:
- Si vous êtes dans un lieu festif, faites-vous conduire dans un endroit sécurisé. Ne restez pas seul.
- Si vous êtes dans un endroit isolé, téléphonez aux services de secours (112) et avertissez au plus vite un proche.
- Comme les traces de certaines drogues disparaissent de l’organisme en un temps très court, n’hésitez pas à uriner dans un récipient pour analyse ultérieure.
- Demandez à être examiné par un médecin ou à être emmené à l’hôpital afin que les analyses et examens soient effectués très rapidement.
Quelles possibilités pour les victimes?
Il existe en Belgique des centres de prise en charge des violences sexuelles. "C'est un très bon outil de prise en charge pour les victimes", dit Caroline Poiré. Elle précise toutefois que le viol doit avoir eu lieu dans les sept jours pour être admissible.
Ajoutons aussi que ces centres réalisent des analyses toxicologiques (qui doivent être faites assez rapidement car on sait que les substances ne restent pas visibles très longtemps dans l'organisme). Et que les résultats de ces analyses sont conservés plusieurs mois après les tests si jamais la personne voulait porter plainte après coup.
Pour les personnes qui ont besoin de plus de temps, il y a des cellules de police prévues pour ce type de cas. Les cellules EVA sont spécialisées dans la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales et sexuelles.