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Cela fait tout juste 20 ans que s'est produite la catastrophe de Ghislenghien, une gigantesque explosion de gaz sur un chantier dans le zoning industriel. 24 morts et 132 blessés, dont de nombreux grands brûlés. Quelle est leur vie 20 ans plus tard ? Le souvenir de ce jour noir est toujours bien présent pour ceux qui ont vécu ce drame.
Il y a 20 ans, le 30 juillet 2004, une conduite de gaz explosait dans le zoning industriel de Ghislenghien, près d'Ath dans le Hainaut. Avec 24 morts et 132 blessés, cette catastrophe industrielle devint alors la plus meurtrière que la Belgique ait connu, depuis la catastrophe minière au Bois du Cazier, en 1956.
Eddy Maillet occupait le poste de chef de corps de la zone de police d'Ath au moment des faits. Le matin de la catastrophe, le hasard fait que le policier a laissé sa radio allumée. "C'est ce qui m'a permis d'être tout de suite au courant du premier appel d'un des policiers de la zone. Le message était assez alarmiste, il s'agissait d'une grosse fuite de gaz", se rappelle l'officier. "Je savais qu'il y avait un chantier de construction en cours [sur le site de l'entreprise Diamant Boart. Je me suis très vite équipé, mais un membre du personnel, qui était pompier, est parti examiner la situation. Le gradé de service, Stéphane Delfosse, est à son tour parti sur les lieux", poursuit Eddy Maillet.
"À 08h55, j'ai entendu une énorme explosion. Je n'ai pas fait le lien avec Ghislenghien, qui se situe à 10 kilomètres d'Ath. Je pensais plutôt à un avion. Et pourtant... J'ai appelé par radio les hommes sur place, le commandant des pompiers, mais personne ne répondait."
"On voyait l'incendie, énorme"
"Je suis alors parti avec un chauffeur. Les gens fuyaient. On voyait l'incendie, énorme. Cela m'a marqué à vie. J'ai ensuite appris qu'il y avait des morts."
En effet, le bilan est lourd : cinq pompiers perdent la vie, ainsi qu'un policier, des travailleurs du chantier et même des automobilistes qui circulaient à proximité du zoning. Le lieutenant Eddy Pettiaux, commandant des pompiers d'Ath, arrivé dans les premiers sur les lieux avec une équipe de sept hommes, est notamment tué dans l'explosion.
Sur place, "la chaleur était intense. Le gaz de la conduite endommagée s'est consumé pendant 12 à 25 minutes. Lorsque la température a baissé, j'ai très vite aperçu des corps, ici et là, recouverts par des riverains", poursuit Eddy Maillet. "Compte tenu de la situation, j'ai décidé de lancer un plan d'urgence, bien que cela n'entrait pas dans mes compétences. Nous avons installé un poste de commandement à la caserne des pompiers athois et déterminé un large périmètre de sécurité. Un poste médical avancé a également été mis sur pied à l'école de Ghislenghien. J'ai ainsi coordonné la manœuvre, de manière invraisemblable."
Vingt ans plus tard, le chef de corps reste marqué "au fer rouge" par la journée du 30 juillet 2004. "Je ne souhaite pas cela à mon pire ennemi. Mais, d'un tel épisode, on sort plus fort."
Le 20 mars 2022, le policier - devenu entre-temps chef de corps de la zone de police de La Louvière - assiste pour la seconde fois de sa carrière à un drame qui marquera lourdement l'histoire du pays. Ce jour-là, lors du carnaval de Strépy-Bracquegnies, une voiture folle percute un groupe carnavalesque au petit matin, faisant six morts et 37 blessés.
"J'ai été submergé par le désastre humain", évoque Eddy Maillet. "Des images de Ghislenghien me sont revenues à Strépy. Mais j'ai géré, je n'ai fait que mon travail, le mieux possible. J'ai été affecté sur le plan humain, c'est un fait. Mais on continue à avancer, il le faut", conclut le chef de corps.
"La chaleur était en train de nous tuer"
Les vies et destins de Stéphane et David ont basulé le 30 juillet 2004. "Le sol s'est mis à trembler et la première explosion a eu lieu, et ensuite la deuxième avec l'embrasement du gaz. Je commence à cavaler le plus rapidement possible, à l'époque, je courais encore assez rapidement. On essaie d'échapper à ce four qui nous englobait, parce que c'était vraiment la chaleur qui était en train de nous tuer", se souvient Stéphane Delfosse.
Il était policier de garde ce jour-là, David était ouvrier, ils n'ont jamais pu reprendre le travail. "On n'est plus le même homme, 20 ans après. Tous les jours, je pense à cette catastrophe", lance David.
Plus de 50 % de la surface de leur corps a été brûlée au troisième degré. "Je me lève à 8h du matin, à 9 h, je suis du côté de Wemmel pour un traitement d'endermologie pour la peau. J'enchaîne à l'hôpital Erasme pour la kiné et la régulation sportive pour terminer l'après-midi une kiné de mobilisation à Uccle", raconte encore la victime de la catastrophe.
"Je connais le pris de deux vies. J'ai eu deux chances"
Stéphane a fait le choix d'arrêter les traitements après plusieurs dizaines d'opérations chirurgicales. L'une d'entre elles lui a fait perdre partiellement la vue, il ne sait plus conduire, plus lire non plus. Fan de BD, il s'est équipé d'un appareil permettant de poursuivre la lecture.
Chaque geste du quotidien lui rappelle cette journée d'enfer, mais il s'estime chanceux malgré tout. "Je suis un des hommes les plus heureux sur Terre parce que je connais le prix non pas d'une vie, mais de deux vies. Puisque j'ai eu deux chances. Ce qui est assez incroyable parce que normalement, j'étais parti pour le même trajet que ceux qui étaient à mes côtés. Je n'ai pas le droit d'être malheureux vis-à-vis d'eux", dit-il enfin.
Eux, ceux qui n'ont pas survécu, la catastrophe de Ghislenghien a fait 24 morts et une centaine de blessés, dont des grands brûlés comme David et Stéphane.