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La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est revenue sur sa jurisprudence qui accordait très souvent une protection aux demandeurs afghans, un revirement qui ouvre la voie à davantage d'expulsions et suscite l'inquiétude parmi les défenseurs des migrants.
Jusqu'ici, la doctrine de la Cour, communément appelée "jurisprudence Kaboul", partait du principe que la violence générée par le conflit armé en Afghanistan était telle qu'il fallait attribuer, sauf cas particuliers, la "protection subsidiaire" aux Afghans, à défaut du statut de réfugié qui est réservé aux cas de persécution individuelle.
Réunie en "grande formation", la CNDA, qui statue en appel sur les demandes d'asile, est partie de deux cas individuels pour modifier sa politique générale à l'égard des ressortissants afghans, qui constituent le premier contingent des demandeurs d'asile en France, avec plus de 10.250 dossiers en 2019.
"La grande formation de la CNDA précise la démarche permettant d'évaluer le niveau de violence généré par un conflit armé aux fins de l'application de la protection subsidiaire", écrit la Cour vendredi.
"La seule invocation de la nationalité afghane d'un demandeur d'asile ne peut suffire à établir le bien-fondé de sa demande de protection internationale au regard de la protection subsidiaire en raison d'un conflit armé", poursuit-elle dans la décision rendue dans l'un des cas.
La Cour ouvre également la voie à une simplification des expulsions, même si elles doivent nécessairement passer par la capitale afghane: "La violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul n'est pas telle qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court, du seul fait de sa présence dans cette ville, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne".
- Harmonisation européenne -
"Cette décision intervient alors même que les civils continuent de payer le prix fort du conflit en Afghanistan", réagit auprès de l'AFP Lola Schulmann d'Amnesty international, rappelant notamment les 1.282 civils tués en Afghanistan lors du premier semestre 2020 selon l'ONU.
"Tout renvoi forcé vers l'Afghanistan constitue un refoulement portant atteinte (...) à la Convention européenne des droits de l'homme", poursuit la responsable de l'ONG qui "demande un moratoire des renvois vers l'Afghanistan".
Sollicitée par l'AFP, la CNDA n'a pas donné suite.
L'an dernier, près de 60% des demandeurs afghans ont obtenu le statut de réfugié en première instance auprès de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), soit environ deux fois plus qu'en Allemagne. Et en appel, la CNDA revenait à 75% sur les rejets de l'Ofpra pour attribuer, en général, une protection subsidiaire.
Un taux qui, sans nécessairement s'effondrer du jour au lendemain, devrait baisser, "car les dossiers vont être étudiés de manière plus personnalisée", explique Gérard Sadik, spécialiste de l'asile à la Cimade, association intervenant dans les deux dossiers CNDA.
"C'est une évolution vers une harmonisation des jurisprudences des principaux pays européens accueillant des Afghans", commente Didier Leschi, directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), chargé de l'accueil et de l'hébergement des demandeurs d'asile.
"Ils se sont dits qu'ils ont été trop généreux et qu'il fallait recadrer", reprend Gérard Sadik, pour qui cette décision "aura un impact majeur sur les 16.785 personnes afghanes dont la demande est pendante en France".
Selon lui, la réflexion de la CNDA est née des travaux du Bureau européen d'appui en matière d'asile, connu sous son acronyme anglais EASO, qui ne juge pas le niveau de violence en Afghanistan incompatible avec des renvois vers ce pays.
"En gros, c'est une nouvelle +jurisprudence Kaboul+, dans l'autre sens", résume-t-il.
Le risque, estime cet expert, est que ce type de jurisprudence soit établie à l'avenir pour d'autres pays en conflits, comme la Syrie, la Libye ou la Somalie.