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Du blanc et du silence, c'étaient les seules consignes données par les organisateurs dont Marie-Noëlle Bouzet, la mère d'Elisabeth Brichet. "C'est une chose qui a tellement traumatisé les Belges, de retrouver des petites filles dans des cages. C'était presque naturel de manifester leur tristesse et leur dégout. Plus jamais ça. (…) C'était l'espoir."
Jean-Denis Lejeune, papa de Julie, a sa propre définition: "La marche blanche était un énorme élan de solidarité, mais comme un gros soufflé, cela est retombé. C'est la population qui s'est manifestée pour nous aider d'une manière ou d'une autre. Et la seule solution qu'on a trouvée et de se rassembler et d'aller marcher pour montrer un peu le mécontentement."
Un moment donné, les pieds ne touchaient plus le sol
Ce jour-là, les estimations indiquent entre 300.000 et 350.000 personnes dans les rues de Bruxelles. "J'avais peur qu'il y ait des débordements, de l'agressivité, que ça tourne mal et qu'on en soit responsables. Je n'imaginais pas que la foule se déplacerait comme ça en masse", se remémore Marie-Noëlle Bouzet. Jean-Denis Lejeune se souvient : "Un moment donné, les pieds ne touchaient plus le sol. On était vraiment portés. C'était beaucoup de frissons et de soutiens."
La gaffe qui a précipité les choses
Revenons à l'étincelle qui a mis le feu aux poudres. A Neufchâteau, le procureur Bourlet et le juge Connerotte traitent le dossier de l'enlèvement de Laetitia Delhez en aout 1996. Leur enquête aboutit. Marc Dutroux est arrêté, mais les magistrats ont la mauvaise idée de partager un plat de spaghetti avec les familles des victimes. Michel Bourlet, ancien procureur du Roi de Neufchâteau, contextualise : "C'était le seul juge qui avait réussi à retrouver deux filles vivantes. Ca n'arrive jamais ça dans la vie d'un magistrat. On arrive toujours sur des cadavres. (…) La cour de cassation a fait son métier. C'est au sommet, à Bruxelles, qu'on sanctionne le petit. Pourquoi ? Parce qu'il a réussi ? Non, il y a eu une bêtise, de bonne foi, qui s'est commise et le droit veut qu'on l'évacue." Pour Marie-Noëlle Bouzet, "dessaisir un juge pour un spaghetti, il faut être Belge pour accepter cela."
Finalement, il n'y a pas grand-chose qui a changé
Et la population ne le comprend pas non plus. La colère gronde et elle sera canalisée par la marche blanche porteuse d'espoirs. "C'était grand. On espérait quand même qu'avec cette mobilisation, nous allions faire bouger les bases. Changer ce système judiciaire archaïque, ce système policier pas du tout adapté aux situations vécues", explique le papa de Julie. "Il y a eu des avancées au niveau de l'accueil des victimes, au niveau de l'accès des victimes au dossier, au niveau de l'organisation, des services de police, …", énumère de son côté l'ancien procureur Michel Bourlet.
Le soir du 20 octobre 1996, l'atmosphère est révolutionnaire. Les institutions sont remises en question, le gouvernement vacille. La protection des enfants devient le seul combat. "Il y a eu cette prise de conscience, prise de conscience dans l'église, prise de conscience dans les enquêtes. Maintenant dire qu'il y a moins d'abus maintenant que qu'avant, je ne le dirai pas", ébruite la maman d'Elisabeth Brichet. Pour Jean-Denis Lejeune, le constat est amer: "Finalement, il n'y a pas grand-chose qui a changé. On a toujours un système judiciaire archaïque"
Vingt-cinq ans plus tard, le bilan est mitigé. Le mouvement blanc s'est essoufflé, mais la ferveur de ce jour d'automne vit encore dans 350.000 cœurs ou bien plus encore.