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Dans son "nouveau corps", Damien Letulle a gardé une "âme de compétiteur" et la "rage de vaincre" qu'il avait dans le sang. Après les JO d'Atlanta en 1996, l'archer aujourd'hui tétraplégique participera aux Jeux Paralympiques de Paris.
La route vers la compétition (28 août-8 septembre) a été sinueuse pour cet athlète français. En fauteuil roulant depuis une lourde chute il y a 27 ans, il croyait avoir "fait une croix" sur le tir à l'arc.
Et pourtant, le voilà de retour à l'entraînement, main gauche accrochée par une attelle à son arc, main droite appuyée à un décocheur conçu sur mesure.
Atteint d'une tétraplégie "incomplète", le sportif de 51 ans peut bouger ses bras mais pas ses doigts. Il tire ses flèches en actionnant le décocheur d'une légère rotation du coude.
"Quand mon projet Paris 2024 est né, je m'y suis remis à fond. Mais je me suis vite confronté à un corps différent. Il a fallu adapter les entrainements, optimiser chaque flèche pour moins en tirer", raconte Damien Letulle.
Concentré, l'oeil rivé sur la cible posée à 50 mètres de son fauteuil, l'athlète reçoit au Creps des Pays de la Loire (Centre de ressources, d'expertise et de performance sportives), près de Nantes, où il s'entraîne depuis plusieurs mois. Cela fait 28 ans qu'il n'avait pas "rêvé de médaille".
- Humour -
Ancien pilier de l'équipe de France, troisième aux Championnats d'Europe de 1996, il avait participé la même année aux Jeux Olympiques d'Atlanta.
Un an plus tard, à l'Insep, temple du haut-niveau français, Damien Letulle fait une chute de plusieurs mètres. Souffrant d'un hématome cérébral et de fractures des vertèbres cervicales, il passe trois semaines dans le coma.
"Je me suis réveillé dans un nouveau corps, un scaphandre. Il n'était plus question de tir à l'arc mais de reprendre goût à la vie. De toute façon, à l'époque, il ne pouvait pas y avoir pour moi de sport de haut niveau dans un corps qui ne fonctionne pas à 100%", se souvient-t-il.
A 25 ans, il "réapprend à vivre" grâce à de nouveaux projets, un site internet dédié aux "sports occultés", puis une entreprise qui délivre conseils et matériel pour favoriser la sexualité des personnes handicapées.
"Ce sont les projets qui font sortir du handicap. On peut être bloqué dans son corps et vivre avec la rage de ne pas arriver à faire ci ou ça, mais on n'avance pas très loin. Je ne me réveille pas en souhaitant remarcher ou rebouger mes doigts. Ce à quoi je pense le matin au réveil, le soir quand je me couche, la nuit dans mes rêves, c'est mon projet sportif", raconte-il.
Son ancien coéquipier Sébastien Flute, médaillé d'or aux JO de Barcelone en 1992, se dit "impressionné par le bonhomme".
Parrain de ses deux fils de 13 et 17 ans, le directeur sportif des épreuves de tirs à l'arc des Jeux de Paris loue auprès de l'AFP le sens de l'humour "constant, parfois déstabilisant" de son ami et sa "force d'esprit sans limite".
- Adaptation -
A 10 ans, à ses débuts à Cherbourg - sa ville d'origine - il n'était "pas très très bon", dit-il, mais son "âme de compétiteur" détestait se faire "battre tous les dimanche". Alors il persévère, jusqu'à intégrer l'équipe de France.
Il a retrouvé sa "rage de vaincre" en apprenant que les Jeux 2024 se tiendraient à Paris, "à la maison".
L'adaptation de son matériel en vue de la compétition n'a pas été évidente. Pour ne pas s'épuiser en allers-retours, il observe son score sur son smartphone grâce à une caméra posée devant la cible. Quant à son décocheur sur mesure, il a été conçu par l'un de ses amis ingénieur et archer amateur, sans qui "rien n'aurait été possible".
"Il y a eu facilement 15 versions, sur deux, trois ans: il fallait éliminer tout biais, tout frottement parasite", explique Simon Julien.
A l'approche des Jeux, Damien Letulle note ce "bon signe" du destin: les épreuves de tir à l'arc auront lieu aux Invalides, là où il y a plus de 25 ans, il avait entamé sa convalescence.