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Comment neige et grand froid ont fait taire (en partie) les éoliennes et panneaux solaires?

Absence de vent et présence de givre sur les pales, neige qui recouvre les panneaux solaires pendant plusieurs jours: les périodes de grand froid ne sont pas idéales pour l'exploitation des sources d'énergies renouvelables. Et notre témoin a raison: on n'en parle pas, ou peu. Il était donc de temps de donner la parole aux habituels experts.

Les enjeux liés à l'énergie, que ce soit au niveau de la consommation (se chauffer, se déplacer, fabriquer, etc.) ou de la production (fin du nucléaire, efficacité des énergies renouvelables, etc.), sont énormes. On est dans une situation paradoxale: en se développant, le monde a des besoins énergétiques grandissant (pensez aux milliards d'individus en Chine et en Inde dont le mode de vie a fortement évolué ces dernières décennies) mais, parallèlement, il y a une prise de conscience de la nécessité de réduire notre "empreinte carbone" (pour faire simple : la pollution engendrée par notre manière de vivre).

Au milieu de tout ça, il y a les citoyens, vous et nous, inondés par des slogans militants, par des déclarations choc, par des avis parfois contradictoires, notamment par rapport à la production d'électricité. Et puis il y a Josiane, qui voudrait "une information complète et réelle", et qui nous reproche, à raison, de n'en parler que dans un sens.

"Vous êtes toujours très prompt à annoncer les performances des éoliennes par jour de grand vent et à relayer l'information transmise par Ecolo ou les promoteurs. Pour donner (à votre public) une information complète et pertinente, vous devriez aussi communiquer ceci: l'éolien et le solaire produisent zéro quand il fait très froid, tandis que les citoyens et les entreprises utilisent beaucoup d'électricité! On n'en parle pas… ", nous a-t-elle écrit via le bouton orange Alertez-nous.

La neige et le froid ont-ils vraiment un impact sur la production d'énergies renouvelables que sont l'éolien et le photovoltaïque ? On va en parler, justement.

Rappel: d'où provient l'électricité en Belgique ?

Les énergies renouvelables se développent, en Belgique comme ailleurs dans le monde, depuis de nombreuses années. Mais leur rendement n'est pas encore suffisant pour couvrir tous les besoins.

En 2019, en Belgique, l'énergie renouvelable a représenté 22,7% du total de l'électricité produite dans notre pays. Dans le détail:

Eoliennes 10,2%
Biomasse (valorisation des déchets biodégradables) 4,4%
Panneaux photovoltaïques 4,2%
Déchets brûlés 2,6%
Hydraulique 1,6%

Nous restons donc très dépendants des centrales nucléaires (46,6%) et du gaz (27,5%).

Les chiffres varient d'une période à l'autre de l'année (ensoleillement, vent, etc.), et en fonction de la disponibilité des réacteurs nucléaires (il y en 7 en Belgique, répartis sur 2 centrales, et certains doivent être mis à l'arrêt pour maintenance, travaux, etc.). Exemple: en août 2020, 3 réacteurs étaient à l'arrêt et 2 fonctionnaient à mi-puissance. Dès lors, ce qu'on appelle le "mix énergétique" était le suivant:

  • 42,5% d'énergie fossile et autres (gaz, principalement)
  • 35,5% d'énergie nucléaire
  • 9,5 % d'énergie éolienne
  • 8,5 % d'énergie solaire
  • 4% d'autres énergies renouvelables

Globalement, la Belgique est autosuffisante actuellement. C'est-à-dire qu'elle n'a pas besoin de demander de l'électricité à ses voisins européens pour couvrir ses propres besoins. Elle peut même en donner de temps en temps, c'est-à-dire 'exporter', surtout quand ses 7 réacteurs fonctionnent à plein régime, comme c'est le cas actuellement.

Que se passe-t-il lors d'un grand froid ?

CONSOMMATION > Quand il fait très froid comme c'est le cas cette semaine, c'est avant tout du côté de la consommation que les regards se tournent. "Les ménages consomment plus d'électricité", nous précise Jean Blavier, porte-parole d'Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en Belgique. Même si les chaudières au gaz et au gasoil sont populaires en Belgique, il y a des besoins accrus en électricité car il y a des radiateurs électriques, des chauffe-eau électriques, et de plus en plus de pompes à chaleur. "Les pics de consommation s'élèvent à 13 GW (gigawatts) en journée, alors qu'on est plutôt à 12 GW en période hivernale normale. On estime la hausse à environ 6%" lors d'une période de grand froid comme nous la connaissons, avec des températures allant jusqu'à -10 degrés en journée.

Moins de vent donc moins d'éolien

PRODUCTION > Au niveau de la production d'électricité, il y a aussi des changements. A commencer par l'éolien. "Il y a généralement un phénomène d'icing, donc de glace qui se met sur les pales des éoliennes, qui provoque une diminution de leur production s'il y a du vent. De plus, la vague de froid que nous connaissons actuellement s'accompagne d'un autre phénomène climatique: il y a très peu de vent. Il n'y a pratiquement pas d'éolien en février", explique Damien Ernst, professeur à l'Université de Liège, spécialiste des questions de production et gestion d'électricité.

Un phénomène d'icing relativisé par Johanna d'Hernoncourt, experte des questions liées à l'éolien au sein de l'APERe, l'Association pour la Promotion des Energies Renouvelables. "La production du parc éolien dépend essentiellement du vent. Effectivement, en cette période de grand froid, il n'y a pas tellement de vent, mais ça n'est pas propre au caractère hivernal, il y a d'autres périodes durant lesquelles il y a moins de vent", explique-t-elle.

"Après, il y a effectivement des phénomènes de givre et de glace sur les pales. Quand il y a de l'humidité dans l'air et qu'il fait très froid, il peut y avoir de la condensation sur les pales, et la formation de blocs de glaces. Ces blocs peuvent se détacher, par exemple avec un rayon de soleil, et si l'éolienne est en rotation, ils peuvent être projetés à une certaine distance en fonction de la vitesse de rotation. Ce qui peut, éventuellement, causer des dégâts s'il y a des infrastructures au pied de l'éolienne, ou des gens qui peuvent se balader en-dessous. En fonction du risque qui a été préalablement identifié lors du permis de construire, l'étude d'incidence environnementale mentionne certaines règles à suivre. Il peut être demandé l'installation d'un système de dégivrage sur les pales: la machine détecte un surpoids, s'arrête et un petit chauffage va faire fondre le bloc, qui tombera au sol et ne sera pas projeté. C'est essentiellement le cas pour les éoliennes dans les zonings industriels".

Mais l'impact sur la production d'électricité "est tout à fait négligeable, il n'y a pas d'incidence car justement, durant les périodes de grands froids, il n'y a de toute façon pas ou peu de vent, donc la perte de production n'est pas visible, étant donné que même sans givre, l'éolienne n'aurait quand même pas produit d'électricité".

Panneaux solaires: 3 raisons à la baisse de productivité en hiver

Concernant les panneaux solaires, la neige qui les recouvre les empêche théoriquement de générer de l'électricité. Mais la situation n'est pas aussi simple qu'il n'y parait. Même sans neige, le solaire affiche un rendement en moyenne très réduit en hiver. Trois raisons expliquent cela: "Des journées plus courtes, un ciel souvent nuageux (donc a contrario, une belle journée d'hiver peut produire de l'électricité), et l'inclinaison du soleil sur les panneaux", énonce Alexis Vander Putten, qui dirige Energreen, un des leaders d'installations photovoltaïques en Wallonie et à Bruxelles.

Le froid n'a pas d'influence sur la diminution de la production des panneaux solaires

Cependant, "le froid n'a pas d'influence sur la diminution de la production, au contraire, quand les panneaux sont trop chauds, il peut même y avoir des pertes de rendement" car ils se mettent en sécurité. "De plus, la neige, si elle ne s'accroche par aux panneaux, va même améliorer leur efficience car le soleil va refléter dessus", produisant donc plus de 'lumière'.

Par contre, et c'est logique, si la neige recouvre les panneaux, "cela affecte la production de manière importante (il y a une chute de la tension). Les onduleurs pourront également afficher des messages d'alertes : attente des conditions DC, ce qui signifie que la tension pour la mise en route de l'onduleur n'est pas encore atteinte". Avec la quantité de neige qui est tombée ses derniers jours pendant la nuit, "on voit bien que les panneaux sont couverts de neige et donc que la production est généralement à l'arrêt", admet notre interlocuteur.

C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte de l'importance d'avoir un parc énergétique diversifié

Le 10 février, gaz et nucléaire ont assuré 92% de l'électricité

La production d'énergie renouvelable issue des éoliennes et des panneaux photovoltaïques est affectée par une période de neige et de grand froid.

En temps normal, le nucléaire et le gaz représentent environ 75% de l'électricité produite en Belgique (ce qui pose beaucoup de questions quand les responsables politiques annoncent, tous les 5 ans, que la sortie du nucléaire aura lieu dans 5 ans…). Durant la période de grande froid et de neige de la semaine dernière, la dépendance aux 'vieilles' énergies s'est accentuée: selon les chiffres disponibles sur le site d'Elia, en milieu de journée le 10 février, 53% de l'électricité produite en Belgique venait du nucléaire et 39% du gaz, soit… 92% au total. L'éolien affiche un triste 5,3%, tandis que le solaire était englobé dans le chiffre 'autre' qui plafonne à… 1,5%. "C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte de l'importance d'avoir un parc énergétique diversifié, avec actuellement nos 7 réacteurs nucléaires qui tournent à plein régime", explique la porte-parole d'Engie, fournisseur d'électricité historique en Belgique, qui exploite les deux centrales du pays, à Doel et Tihange.

Des acteurs privés convaincus vont investir massivement, notamment dans l'éolien offshore

Et quand il n'y aura plus de nucléaire ?

Le parti Ecolo reste cependant positif sur la sortie du nucléaire prévue en 2025. "En 2020, les énergies renouvelables ont fait un boum: elles ont augmenté leur production de 31%. Elles ont représenté sur l'ensemble de l'année 18,6% du mix électrique", nous a expliqué Samuel Cogalty, député fédéral. Selon lui, "la part du nucléaire se réduit d'année en année, sa disponibilité n'est pas constante et comme on ne peut pas arrêter un réacteur facilement, parfois on doit mettre les éoliennes et le solaire à l'arrêt car il y a trop d'électricité produite, ce qui est absurde". Dès lors, "une sortie du nucléaire en 2025 est une évidence, d'autant plus qu'indépendamment du débat politique très passionné, la majorité des réacteurs sont en fin de vie et Engie a prévu l'arrêt de leur exploitation".

Et pour combler ce déficit ? "Des acteurs privés sont déjà convaincus et vont investir massivement, notamment dans l'éolien offshore (donc dans la Mer du Nord 'belge'), tandis que les interconnexions vont se multiplier en Europe. La Belgique vient de signer un accord avec le Danemark, et va tirer un câble sous-marin pour partager l'électricité des deux pays en cas de besoin", conclut le député Ecolo, qui admet cependant que l'augmentation de l'utilisation du gaz sera nécessaire dans un premier temps. 

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