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Dès 05H00, sur la corniche de Gaza, de premières silhouettes mouvantes se dessinent dans la lueur de l'aube. Dans l'enclave palestinienne, le coronavirus a donné son élan à la marche sportive pour se "libérer" l'esprit de la pandémie doublée du blocus israélien.
Sur les trottoirs devant le bord de mer, des groupes de femmes vêtues de longues tuniques laissant à peine deviner leurs chaussures de course et des hommes en survêtement sport avec des logos de grandes marques, réels ou en toc, marchent à une cadence soutenue.
Direction: nulle part. A 05H30, ce ballet s'accélère puis s'étiole vers 07H00. Même scène tous les matins dans ce territoire qui, après trois guerres avec Israël, mène un combat contre un nouvel "ennemi", la maladie Covid-19.
"A Gaza, il y a une forte pression (mentale). Nous en souffrons. De nombreuses personnes sortent donc marcher en bord de mer pour se défouler et échapper à l'atmosphère pesante", souffle Walid al-Louh, 40 ans, casquette des Yankees de New York en prenant une pause de sa marche rapide sur la corniche aux pavés empoussiérés.
"Avant le corona, j'avais l'habitude de marcher. Il y avait peut-être des dizaines de personnes mais maintenant ce sont des centaines et des centaines qui marchent."
Hanadi al-Akawy, 32 ans, visage lumineux ceint d'un foulard, marche désormais cinq kilomètres par jour avec son mari pour se "débarrasser des pressions psychologiques".
- Seule ouverture -
Entourée d'une large barrière israélienne ultrasécurisée, le territoire palestinien exigu de 362 km2, où vivent quelque deux millions de Palestiniens, était, ironise la population locale, confiné bien avant la pandémie, avec un blocus israélien imposé depuis plus d'une décennie.
Au début de l'épidémie, les seuls points d'entrée et de sortie pour les Gazaouis -Erez avec Israël et Rafah avec l'Egypte- ont été quasi-totalement fermés. Coupée du monde, la bande de Gaza a enregistré au départ quelques cas à peine, circonscrits à des centres de quarantaine pour les rares personnes autorisées à rentrer dans l'enclave.
Mais en août, de premiers cas ont été recensés hors des centres, dans des camps de réfugiés. Des premiers morts ont suivi et l'anxiété s'est amplifiée avec ces jours-ci un pic de contaminations (490 cas dimanche).
Face a la hausse des cas, le gouvernement islamiste Hamas, au pouvoir à Gaza, a imposé un couvre-feu nocturne, avec des commerces qui ferment désormais dès 17H00.
Un "double confinement"! se désolent des habitants, en allusion aux restrictions sanitaires et au blocus israélien.
Un malheur "de trop" pour une population qui a déjà le sentiment de vivre "en prison", souffre d'un chômage endémique (+50%) et d'une économie laminée par la crise, note le psychiatre gazaoui Samir Zaqout.
"Les gens font ce qu'ils peuvent pour exprimer leurs émotions et la marche en fait partie d'autant que le bord de mer est notre seule fenêtre de liberté", dit ce lecteur de Michel Foucault, philosophe français qui avait consacré une partie de son oeuvre aux origines de la prison.
- "La prison" -
"Ces marcheurs me font penser à la prison", où les détenus peuvent "exprimer leurs sentiments", avant de retourner dans leur cellule, ajoute le psychiatre qui a travaillé sur les problèmes de dépression dans les camps palestiniens et reproche aux autorités locales de sous-estimer l'impact de la crise sur la santé mentale des habitants.
Selon une étude publiée en 2017 dans la revue scientifique PlosOne, les Territoires palestiniens présentaient le taux le plus élevé de dépression dans une région englobant une vingtaine de pays allant de l'Afghanistan au Maroc. Et selon un sondage mené récemment par l'ONG britannique Islamic Relief, plus de 80% de 2.000 travailleurs de Gaza sondés disent souffrir de "problèmes mentaux" liés à une crise qui réduit leurs revenus déjà limités.
Sur la corniche de Gaza, Marwan Al-Assar, silhouette de Schwarzenegger sous son ciré jaune et casque d'écoute coiffant son crâne, jogge en contemplant les marcheurs autour de lui.
Depuis des années, ce commerçant de 60 ans marchait et courait presque seul chaque matin et se considère comme un "héros" pour avoir encouragé des proches à le suivre.
"Aujourd'hui des gens m'imitent, cette culture grandit. C'est bon pour l'esprit car marcher, c'est la vie!", lance-t-il avant de reprendre sa foulée.