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Collectes de dons pour ériger un hôpital, volontariat pour construire une route: la Roumanie, pays aux infrastructures délabrées, connaît une mobilisation croissante de sa société civile, lasse d'attendre que les autorités prennent les choses en main.
"Quand j'ai vu qu'une trentaine d'enfants malades d'un cancer et leurs parents devaient faire la queue devant une seule toilette dans un hôpital de Bucarest, j'ai été tellement révoltée que j'ai voulu faire quelque chose", confie à l'AFP Oana Gheorghiu, à l'origine de l'association Daruieste Viata (Donne vie).
Avec Carmen Uscatu, comme elle diplômée en économie, elle a lancé en décembre 2017 un appel aux dons afin de construire dans la capitale un hôpital oncologique pour enfants.
"En l'espace de trois semaines nous avons recueilli quatre millions d'euros. C'était un phénomène social, une vague d'empathie et d'implication sans précédent", se félicite Mme Uscatu, co-fondatrice de l'association.
Un an plus tard, des dizaines d'ouvriers sont à pied d'oeuvre sur le chantier de ce premier hôpital du pays financé exclusivement par des dons privés. "Un camouflet pour l'Etat", estime Mme Gheorghiu.
La Roumanie prendra le 1er janvier la présidence tournante de l'UE pour la première fois depuis son adhésion en 2007. Ces onze années ont profondément transformé le pays qui enregistre depuis 2015 l'une des croissances les plus vigoureuses du continent.
Mais les infrastructures publiques du pays sont en piteux état et jamais la défiance des citoyens à l'égard de l'Etat n'a semblé aussi forte, sur fond de corruption endémique.
- Désespoir des parents -
Dans un autre quartier de Bucarest, les volontaires de l'association MagiCAMP mettent les dernières touches à un immeuble qui hébergera les familles d'enfants soignés pour un cancer.
"J'ai senti le désespoir des parents, leur fatigue après avoir dormi des mois durant sur un banc, voire à la gare", faute de pouvoir se payer l'hôtel, explique Melania Medeleanu, l'âme de MagiCAMP. Plus d'un million de Roumains et des centaines de sociétés ont donné de l'argent ou des matériaux de construction.
"Si l'Etat avait fait son boulot, notre association n'aurait eu aucune raison d'exister", observe Melania Medeleanu.
La part du PIB roumain consacrée aux dépenses de santé représente moins d'un tiers de la moyenne des 28. Le pays affiche l'un des taux de survie au cancer parmi les plus bas d'Europe et une mortalité infantile deux fois supérieure à la moyenne européenne.
En 2014, les autorités ont promis de construire quatre hôpitaux régionaux, financés pour partie par des fonds européens. Le lancement des travaux vient d'être repoussé à 2022.
Le gouvernement social-démocrate, au pouvoir depuis 2016, a en outre suscité l'incompréhension à Bruxelles en affirmant qu'il "revenait trop cher" d'utiliser des fonds communautaires - mis gratuitement à disposition - et qu'il serait plus rentable de faire appel à des partenariats public-privé.
Une "trouvaille" pour échapper au contrôle de l'UE sur la manière dont l'argent est dépensé, estime-t-on de source européenne, alors que des dizaines d'élus roumains ont été condamnés ces dernières années pour des fraudes aux fonds européens.
- Autorités "incapables" -
Le ministère de la Santé assure que la construction des quatre hôpitaux "demeure une priorité". Mais Vasile Barbu, président de l'Association des patients de Roumanie, n'y croit plus: "L'Etat ne construira jamais un hôpital régional parce qu'il n'est pas capable de gérer un tel projet."
Bucarest s'était battu pour obtenir de l'UE davantage de fonds de cohésion, jugeant insuffisants les 22,5 milliards d'euros prévus pour la période 2014-2020. Mais à deux ans de la fin de l'exercice financier, seuls 3,1 milliards ont été dépensés.
Multipliant les discours souverainistes, la gauche au pouvoir accuse Bruxelles de lui imposer des conditions "discriminatoires". "Beaucoup de pays ne se réjouiraient pas de voir la Roumanie traversée par des autoroutes", a même affirmé le principal conseiller économique du gouvernement, Darius Valcov, sous-entendant que les autres Etats membres ne voulaient pas d'une Roumanie trop développée.
Les habitants de Trestia (nord), qui ont construit une route avec leurs propres moyens, dénoncent eux l'"incompétence et l'indifférence" des pouvoirs publics, qui en 2017, n'ont livré que 24 km d'autoroute.
"La Roumanie est le pays où l'on te dit tout le temps +c'est impossible+", dit Carmen Uscatu, "or nous, une ONG, sommes en train de démontrer qu'il est possible de faire bouger les choses".