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En trois ans seulement, le fabricant de cigarettes électroniques Juul a avalé le marché américain avec ses vaporettes en forme de clé USB. Son succès représente un dilemme de santé publique pour les autorités sanitaires, aux États-Unis et ailleurs.
D'une part, ces cigarettes électroniques exposent les vapoteurs à moins de substances toxiques et cancérigènes que les cigarettes - une étude des Académies nationales des sciences américaines l'a écrit noir sur blanc cette année. Convertir les fumeurs au vapotage réduirait donc le nombre de cancers.
Mais d'autre part, de nombreux parents et lycées rapportent que Juul est adoptée par les adolescents, laissant craindre qu'une nouvelle génération ne s'accoutume à la nicotine, substance qui provoque l'addiction mais n'est pas responsable du cancer. Sans compter les effets durables méconnus des vapeurs, les étude de long terme manquant.
L'agence de santé américaine, la FDA, dénonce une "épidémie de consommation régulière de nicotine chez les adolescents". Elle a confirmé à l'AFP que ses agents avaient effectué une inspection surprise vendredi au siège de Juul à San Francisco, saisissant plus d'un millier de pages de documents sur ses pratiques de marketing.
La start-up n'était pas la première du marché, mais elle a vite détrôné les géants du tabac, dont British American Tobacco, qui commercialise des vaporettes d'une technologie différente.
Aux Etats-Unis, Juul est passée de 2% de part de marché en 2016 à 29% en décembre 2017, selon des chiffres publiés mardi dans la revue médicale JAMA... En septembre 2018, Juul avait bondi à 72,9%, selon des données Nielsen transmises à l'AFP par Juul.
"Comme beaucoup de start-ups high tech de la Silicon Valley, notre croissance est due à un produit supérieur qui bouleverse une industrie archaïque, en l’occurrence, une industrie dont les produits sont la cause numéro une de morts évitables", dit Juul à l'AFP, en assurant que la société avait permis à plus d'un million d'Américains de passer de la cigarette à la vaporette.
Son patron, Kevin Burns, dit coopérer avec la FDA pour "empêcher Juul de tomber entre les mains des jeunes", et assure avoir livré plus de 50.000 pages de documents depuis avril dernier.
Juul s'est lancée au Royaume-Uni, au Canada et en Israël. Israël a interdit la vente des plus forts dosages en nicotine, mais les dosages plus faibles restent en vente. D'autres pays en ont restreint la vente au cadre médical, dont l'Australie et le Japon.
- "Lycéens vapoteurs" -
Juul coûte environ 20 dollars pour l'appareil et 30 dollars pour quatre recharges, contenant chacune l'équivalent en nicotine d'un paquet de cigarettes.
Dans les lycées aisés, elle a l'image d'un produit non nocif. "C pas grave une juul", croit savoir un élève d'un lycée chic de la banlieue de Washington.
Le nombre de collégiens et lycéens qui vapotent a augmenté aux Etats-Unis de 2011 à 2017, selon la dernière enquête nationale sur le tabac et les jeunes, mais le nombre de fumeurs a parallèlement baissé. En combiné, le nombre total de consommateurs de tabac a baissé.
Mais le marché évolue très vite, et la question centrale est de savoir si la consommation de tabac (vaporette et cigarette) a augmenté chez les jeunes en 2018.
Scott Gottlieb, le chef de l'agence de santé américaine (FDA), a laissé entendre en septembre que la réponse était oui, déclarant: "Aucune des mesures concernant le tabac et les jeunes ne vont dans la bonne direction".
Depuis 2016, la FDA régule les e-cigarettes, interdites de vente aux mineurs. Elle multiplie les contrôles et envisage de sévir pour, notamment, interdire les parfums censés attirer les jeunes.
Juul a arrêté ses campagnes de promotion sur Instagram, Facebook ou Twitter, et interdit la vente aux moins de 21 ans sur son site, où il faut fournir un numéro de sécurité sociale ou une image d'une pièce d'identité.
Elle reste néanmoins dans le viseur de Matthew Myers, président de l'organisation Campaign for Tobacco-Free Kids. "Quand ils ont retiré leur campagne des réseaux sociaux, Juul était déjà devenue le produit dominant dans les lycées", dit-il à l'AFP.
Il reconnaît que le produit est populaire seulement chez les jeunes aisés. Mais "dès que ces produits deviendront moins chers, le risque est que cela se transmette aux enfants moins aisés", s'inquiète-t-il.
Son organisation souhaite par exemple interdire complètement les ventes en ligne, comme c'est de facto le cas pour les cigarettes.
Tout le secteur attend désormais de savoir, dans les prochains mois, jusqu'où les autorités iront.