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8 ans après le déploiement de la 4G, la 5G s'apprête à lui succéder. Elle permettra des vitesses de téléchargement et de chargement plus élevées, elle aura aussi d'autres champs d'application dépassant l'accès à un internet sans fil et rapide à partir de nos smartphones.
Mais depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux, nous voyons apparaître des groupes, des collectifs, des pétitions, des montages vidéo, qui évoquent les dangers de la 5G sur l'homme et sur l'environnement. Beaucoup d'informations sont fausses ou sans preuve, certaines sont vraies. Dès lors, vous êtes nombreux à vous poser des questions sur cette nouvelle norme de télécommunication.
"Nous sommes tous en danger face à cette 5G ! Nous sommes des milliards face à quelques centaines de géants et nous n'avons pas encore pu nous faire entendre car nos modes de diffusion sont bafoués...", nous a écrit Violette via le bouton orange Alertez-nous le 10 avril. Elle a joint un lien vers une vidéo sur YouTube baptisée 'Apocalypse 5G'.
Des informations liant l'épidémie de covid-19 au déploiement de la 5G ont aussi émergé. "Est-il possible que le placement des antennes 5G dans le monde puisse être la cause d’un plus grand pourcentage de décès ?", nous a demandé Julie le 7 avril.
On s'est dit qu'il était temps de tirer les choses au clair, avec l'aide de deux scientifiques. Philippe De Doncker, ingénieur civil physicien de l'ULB, s'est spécialisé dans les ondes des télécommunications. Il travaille actuellement à la Faculté des Sciences appliquées de l'Ecole Polytechnique de Bruxelles. Il nous expliquera ce que sont les ondes, et leur impact sur l'environnement.
Nicolas Van Zeebroeck est enseignant à la Solvay Brussels School of Economics and Managment, et spécialisé dans les télécommunications. Il nous parlera des différences entre les 2/3/4G et la 5G.
Pour être tout-à-fait transparent, et c'est important car les médias généralistes (voir plus bas) sont parfois accusés d'être de mèche avec les politiques et l'industrie pour faire accepter le déploiement de la 5G, je me suis également entretenu avec un ingénieur responsable des développements du réseau d'un opérateur. Il a tenu à rester anonyme et m'a éclairé sur certains aspects purement techniques.
Le dossier est bloqué au niveau du Comité de concertation
Où en est la 5G en Belgique ?
Avant de résumer nos interviews avec ces deux experts, évoquons les bases et faisons le point sur l'état du déploiement de la 5G dans notre pays. La situation est un peu chaotique et contribue sans doute à la méfiance des citoyens. Accrochez-vous, il faut suivre.
En Belgique, c'est l'IBPT (Institut belge des services postaux et des télécommunications) qui gère le "spectre radio". Un peu comme des aiguilleurs du ciel qui gèrent l'espace aérien belge et ceux qui veulent l'utiliser, l'IBPT est responsable de ceux qui veulent utiliser telle ou telle fréquence (qui s'exprime en mégahertz, MHz ou gigahertz, GHz) pour émettre des signaux, donc pour faire transiter des informations (des appels vocaux, des données numériques petites ou grandes, la 'radio', etc…) via des antennes.
Ce sont les Régions qui gèrent les risques liés aux ondes
Comme les niveaux de pouvoirs sont éclatés en Belgique depuis plusieurs années, il s'avère que "les risques liés aux rayonnements non ionisants (donc les fréquences d'ondes qui n'ont rien de radioactif, NDLR) relèvent de la compétence des Régions en matière de protection de l'environnement", précise le porte-parole de l'IBPT, Jimmy Smedts.
Une norme internationale
On parle de 'normes de rayonnement' pour encadrer le déploiement du matériel de télécommunication mobile. L'Organisation mondial de la santé (OMS) fait confiance aux études de l'institut scientifique indépendant ICNIRP (International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection) basé en Allemagne. Cet institut estime que les ondes sont sans aucune conséquence sur l'environnement si la puissance du matériel qui les émet est limitée à 41 V/m (soit volt par mètre) sur la bande des 900 MHz (les autres bandes ont d'autres limites).
Une norme régionale plus stricte
En Belgique, les Régions, qui sont donc responsables, ont décidé d'imposer des normes nettement plus strictes. Exemple: 20,58 V/m en Flandre (voir les détails), seulement 3 V/m en Wallonie (uniquement si l'antenne est placée dans une zone habitée, voir l'explication) et 6 V/m à Bruxelles (voir les détails).
Ces normes sont complexes à interpréter. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que le matériel 5G devra s'intégrer dans les installations existantes via des antennes supplémentaires (voir plus bas). Et que donc, la 5G sera facile à déployer en Flandre, un peu moins facile dans certaines villes de Wallonie, et impossible sans changer les règles à Bruxelles (ce qui avait déjà été le cas avec la 4G à l'époque).
Impact de l'absence de gouvernement
L'IBPT prépare le terrain législatif depuis plusieurs années au sujet de la 5G. "La loi doit changer, on doit modifier le spectre ; après il y a des arrêtés royaux qui donnent des spécifications aux opérateurs (comme l'obligation de couvrir un tel pourcentage du territoire ou de la population)", explique le porte-parole. Mais vu la situation politique de notre pays (on n'a plus vraiment de gouvernement de plein exercice depuis le départ de la N-VA en décembre 2018, sans parler de l'épidémie de coronavirus), "le dossier est bloqué au niveau du Comité de concertation" (qui rassemble responsables fédéraux et régionaux) car "tous les aspects télécoms doivent être concertés avec les Régions". En deux ans, donc avant la chute du gouvernement, "aucun accord n'a pu être trouvé", notamment à cause d'un problème de répartition des recettes (car oui, les opérateurs paient pour utiliser les nouvelles bandes de fréquence).
Solution temporaire pour un premier déploiement de la 5G
Cependant, "comme il y a une date limite pour la mise en service de nouvelles fréquences de télécommunication imposée par l'Europe" et "pour éviter que la Belgique ne prenne trop de retard", "on a un peu regardé pour voir ce qu'on pouvait faire" dans le respect de la loi. Et l'IBPT a opté pour une "attribution de droits d’utilisation provisoires qui permettraient un premier déploiement de la 5G" (voir les détails). Cette procédure est en cours.
Initiative de Proximus qui remplace des antennes 3G par des antennes 5G
Tout ça n'a donc rien à voir avec l'initiative récente de Proximus, qui annonçait fin mars, à la surprise générale, le déploiement de la 5G. "En fait, ils utilisent les fréquences de la 3G pour y mettre du matériel 5G", explique le porte-parole de l'IBPT. Ils n'avaient pas besoin de l'accord de l'IBPT pour ce faire. "Mais ça veut dire qu'ils ne peuvent plus utiliser à 100% cette bande pour la 3G", dont le signal a dû baisser en qualité. "Cependant, l'installation de ce matériel s'est fait dans le respect des normes de rayonnement" dont on vient de parler, vu qu'ils ont, pour faire simple, échanger une antenne 3G contre une antenne 5G.
Au passage, vu le contexte actuel (méfiance envers la 5G + coronavirus), le coup de communication de Proximus n'a pas plu à certains bourgmestres qui, sans doute suite à la pression d'une partie de la population (ou par pure démagogie...), ont demandé à Proximus d'éteindre ces antennes (voir les détails, mais la liste s'allonge tous les jours). Ils ajoutent donc leur grain de sel dans un processus décisionnel déjà très complexe.
Vous l'avez compris: la 5G n'arrivera donc pas en Belgique, de manière globale et concertée, avant 2021.
Lisez l'entièreté de notre DOSSIER 5G