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Des favelas au musée et à Beyoncé: le funk brésilien en majesté

D'Anitta à Beyoncé, le funk brésilien, sorti des favelas de Rio de Janeiro il y a plus de 20 ans, est devenu un phénomène global et s'affiche désormais dans des expositions - même si chez lui il garde une image sulfureuse.

Mariant hip hop et sons électroniques sur les irrésistibles syncopes de percussions afro-brésiliennes, le funk - à ne pas confondre avec la musique du même nom née aux Etats-Unis, qui eut James Brown pour héraut - a émergé dans les quartiers les plus violents et les plus pauvres de Rio à la fin des années 1990, avant de gagner les autres grandes villes du pays.

"Le funk alimente l'estime de soi de la favela", dit à l'AFP Taisa Machado, créatrice de la plateforme de promotion Afrofunk Rio.

A Rio, beaucoup ont savouré que la superstar américaine Beyoncé ait placé sur son dernier album, "Cowboy Carter", lancé fin mars, une chanson ("Spaghettii") qui utilise un sample entêtant de l'artiste O Mandrake, une légende du funk carioca.

"Nous qui travaillons dans le funk, nous avons toujours su la force, la qualité musicale et culturelle du mouvement et nous espérions ce moment", ajoute Taisa Machado en évoquant cette reconnaissance hors du Brésil.

Quant à la Brésilienne Anitta, devenue au fil des ans l'indiscutable ambassadrice internationale du funk - et de la liberté sexuelle qui y est associée -, elle entend bien parachever ce triomphe sur son nouveau album "Funk Generation", qui sort vendredi.

- "Vivre de mon art" -

A Lapa, quartier bohème à la longue tradition de musique et de samba en plein coeur de Rio, une douzaine de jeunes venus de favelas et d'autres quartiers périphériques répètent un spectacle à #estudeofunk, résidence artistique nichée à la Fondation Progresso, une institution réputée.

L'idée est de permettre aux jeunes qui passent par ici de se "professionnaliser" pour faire carrière dans le funk, résume la responsable Vanessa Damasco.

"Pouvoir vivre de ma musique, de mon art, c'est ce que je veux", confie Gustavo de França Duarte (MC Gut Original).

Agé de 35 ans et père de quatre enfants, il vit pour le funk depuis des années mais gagne son pain comme gardien de nuit.

Le Musée d'art de Rio (MAR) a lui aussi pris la dimension du phénomène.

Sous le titre "Funk, un cri d'audace et de liberté", une exposition à succès présente une impressionnante série de tableaux, photos et vidéos à la gloire de cette culture, des communautés noires et des fameux "bailes", gigantesques fêtes organisées dans les favelas au rythme vrombissant des tubes funk.

Parmi ces hits, la chanson "Baile de favela" avait été choisie par la championne brésilienne de gymnastique Rebeca Andrade pour une épreuve aux JO de Tokyo en 2021.

Parmi les artistes exposés, le photographe français Vincent Rosenblatt, qui vit au Brésil et documente depuis des années le phénomène avec précision et empathie. Il a aussi eu droit à une exposition en début d'année à Paris.

Le funk "a dû mener une grande lutte pour être reconnu comme patrimoine culturel de Rio" en 2009, souligne-t-il.

Mais, au moment même où cette reconnaissance se concrétisait, une loi restreignait les "bailes funk".

- "Comme un phénix" -

De fait, aujourd'hui, alors que le genre rencontre le succès ailleurs, à domicile les "bailes" se font de plus en plus rares.

Le funk évoque "le quotidien de la favela, les nouveaux modes de vie de la jeunesse, la façon de parler, l'argot", explique l'anthropologue Emilio Domingos, qui a participé à la réalisation d'une série documentaire consacrée à Anitta sur Netflix.

"Les paroles parlent de la favela comme d'un espace de fierté et de divertissement", insiste-t-il.

Mais elles parlent aussi de violence et célèbrent parfois le mode de vie des délinquants dans ces territoires gangrenés par le trafic de drogue, ce qui vaut au funk une réputation de soufre.

"Le funk génère beaucoup d'argent, emploie beaucoup de gens, pose des questions pertinentes et a le pouvoir de mettre en avant de nouveaux modes de comportement. Pourtant, il existe une véritable persécution de la police et des autorités", dénonce Taisa Machado, d'Afrofunk Rio.

Selon elle, "il y a beaucoup de préjugés, du racisme, du machisme et de l'élitisme quand il est question de ce mouvement".

Le photographe Vincent Rosenblatt opine. Mais, assure-t-il, le funk est "comme un phénix": réprimé, "il renaît ailleurs".

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