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Dans "Corps extrêmes", créé en ouverture du festival Montpellier Danse, le chorégraphe Rachid Ouramdane magnifie le rêve d'Icare en mettant en harmonie des sportifs de l'extrême et des acrobates qui repoussent les limites de la pesanteur, créant ainsi de nouveaux possibles.
La pièce, très intense, débute dans le superbe théâtre à ciel ouvert de l'Agora par des images du "highliner" Nathan Paulin qui semble voler pieds nus sur une mince sangle suspendue plusieurs centaines de mètres au dessus d'un cirque naturel. Mais le funambule moderne, connu notamment pour avoir en 2017 effectué une traversée de 1.660 mètres à 340 mètres au dessus du Cirque de Navacelles (Gard), surgit aussi devant les spectateurs sur un filin qui traverse la scène.
En voix off, il explique vouloir "repousser, les limites", "défricher". "Là-haut, ce que je vais chercher c'est la liberté, c'est ça qui me pousse à être régulièrement dans les airs", poursuit-il.
Des acrobates, voltigeurs et grimpeurs, le contemplent depuis la scène et un mur d'escalade blanc qui constitue le décor de fond: ils tentent en vain de le rejoindre en s'élançant vers lui, multipliant les lancers et porters parfois vertigineux et puissants, parfois lents et d'une grande douceur.
La championne suisse d'escalade Nina Caprez apparaît ensuite sur des images dans l'immensité d'une paroi semblant aussi lisse qu'abrupte. Mais les spectateurs peuvent suivre parallèlement la virtuosité et l'élégance de ses mouvements sur le mur d'escalade. "Plus je suis haut, plus je suis dans mon élément", assure la voix de la grimpeuse.
Dans un ballet fulgurant, Nina Caprez et une dizaine d'acrobates sont projetés vers et depuis le mur d'escalade. Mais ils ne parviennent pas à atteindre le funambule qui finit par redescendre au sol porté par les acrobates, comme une métaphore de la condition humaine.
- "Profondément chorégraphiques" -
Après l'annulation du 40e festival en 2020 à cause de la crise sanitaire, "Corps extrêmes" a marqué mercredi soir la renaissance de Montpellier Danse et ses retrouvailles réussies avec le public -- des spectateurs ravis de renouer avec le spectacle vivant et qui ont longuement applaudi la pièce, jouée à nouveau jeudi soir.
"J'ai réuni des gens que je sais profondément chorégraphiques mais qui n'ont pas de bagage de danse", a expliqué mercredi devant la presse le danseur et chorégraphe Rachid Ouramdane, né à Nîmes en 1971 dans une famille algérienne ayant fui la guerre.
"Il y a du chorégraphique dans une cour de récré, dans la rue, dans la nature", dit celui qui a découvert la danse dans la rue à l'âge de 12 ans avec le hip hop "contestataire" et a été nommé en 2021 à la tête du prestigieux Théâtre national de la Danse de Chaillot.
Avec "Corps extrêmes", Ouramdane, qui a co-dirigé avec le circassien Yoann Bourgeois le Centre chorégraphique national de Grenoble, dit avoir voulu une nouvelle fois "aller chercher ce qu'il y a derrière le geste" mais aussi donner à voir "la sérénité", "l'hyper attention aux autres" et la "dimension d'aventuriers" de ses interprètes qui "étudient les limites et créent des possibles".
"Ce ne sont pas des gens qui jouent avec la mort, ils se sécurisent", souligne-t-il, parlant à propos des acrobates de leurs "sculptures humaines vertigineuses", leur "vitesse prodigieuse" mais aussi de la "finesse des regards" et de leur "capacité à être là pour l'autre à tout instant".
Marqué par le destin de son père, victime de la torture, Rachid Ouramdane a notamment travaillé autour de cette thématique et de celle de l'exil. Il dit pour cette création avoir notamment eu en tête le "grand échappé" vertigineux que le danseur légendaire Vaslav Nijinski avait accompli alors qu'il était interné en hôpital psychiatrique en Suisse en 1939. Un "symbole assez troublant de nos tentatives d'échapper à la gravité", résume-t-il.