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Il y a quelques semaines après que le Tribunal de l'Application des Peines (TAP) de Bruxelles avait décidé d'accorder à Michel Lelièvre sa libération moyennant certaines conditions, l'avocat de Marc Dutroux, Bruno Dayez, avait été interrogé par le journaliste Fabrice Grosfilley pour savoir si son client était lui aussi libérable. Aujourd'hui, le même TAP va se pencher sur la question de savoir s'il faut dresser un nouveau profil psychiatrique du tueur qui pourrait ensuite mener à une libération conditionnelle. Voici un extrait de cette interview.
Fabrice Grosfilley: Votre client, Marc Dutroux, pourra-t-il suivre un jour le même chemin que Michel Lelièvre ?
Bruno Dayez: C'est tout ce que j'espère mais nous sommes encore loin du bout. Une audience est prévue le 17 octobre. Je pense que je n'apporte pas de scoop concernant la désignation d'un collège d'experts pour, notamment éclairer le tribunal d'application des peines (TAP) sur la question de sa dangerosité.
Fabrice Grosfilley: Vous demandez une expertise psychiatrique pour qu'on sache s'il y a des risques de récidives et savoir si une libération conditionnelle peut être accordée un jour ou pas ?
Bruno Dayez: Exact. Les experts devront plancher et établir un profil de personnalité détaillé, de nature à permettre au tribunal de statuer en parfaite connaissance de cause.
Fabrice Grosfilley: Pourquoi un avocat a-t-il comme mission de réclamer la libération conditionnelle de son client? Quelle est votre motivation profonde ?
Bruno Dayez: La libération conditionnelle est un droit. Nous sommes préposés à faire valoir les droits des personnes qui nous consultent et en particulier les droits des détenus. Ce sont des personnes qui méritent d'être défendues quels que soient les crimes qu'elles ont commis. D'ailleurs, c'est une obligation pour un avocat de défendre les personnes qui lui confient la défense de leurs intérêts. En ce qui me concerne, on sait pourquoi je suis monté au créneau. La défense de Dutroux correspond aux idées que je défends et professe depuis maintenant 37 ans sur l'abolition des peines perpétuelles et sur la réforme de la libération conditionnelle. Je considère qu'elle est beaucoup trop exigeante et drastique.
Fabrice Grosfilley: De votre point de vue d'avocat, la libération de Michel Lelièvre est-elle salutaire ?
Bruno Dayez: Si mes informations sont exactes, Michel Lelièvre était libérable depuis 2005. Il a subi 23 ans de détention. Je pense qu'il faut représenter à la population qui n'a forcément pas d'expérience de ce qu'est le monde carcéral du fait qu'une peine de 23 ans de prison est un non-sens. Toute la littérature scientifique démontre qu'après 15 ans, il est de plus en plus difficile de réinsérer les gens. Donc, la prison joue ici le rôle d'une institution de désinsertion sociale. Et donc, le paradoxe de la libération conditionnelle pour les très longues peines est qu'on demande aux gens de se réinsérer alors qu'on a déployé des efforts considérables pour les désinsérer.
La prison est toxique et fondamentalement criminogène
Fabrice Grosfilley: Au-delà de 15 ans, ça ne sert plus à rien d'être en prison ?
Bruno Dayez: C'est effectivement le fond de ma pensée. Quand l'Etat incarcère les gens, il devient responsable de ce qu'il en fait car il les prive de toute autonomie, de toute forme de décision sur eux-mêmes. Et donc, exiger d'un détenu qu'il propose lui-même un plan de réinsertion, c'est une mascarade car les détenus ont très peu de moyens et les outils mis à leur disposition par l'institution sont dérisoires.
On laisse globalement nos détenus pourrir sur pieds. Quand on les incarcère, on élimine le problème à la base en faisant comme s'il n'existait plus. C'est une façon d'agir qui équivaut à mettre la poussière sous le tapis.
Fabrice Grosfilley: Est-ce que vous pouvez comprendre l'émotion qui existe dans une partie de l'opinion 25 ans après l'affaire qui se dit que ce qui a été commis est monstrueux, donc ceux qui l'ont commis sont des monstres, ne sont donc pas des êtres humains tout à fait comme nous et donc, on ne peut pas les libérer. Vous comprenez ce raisonnement ou pas?
Bruno Dayez: Oui, je le comprends parfaitement. Mais je ne peux pas l'avaliser parce que ça révèle une méconnaissance de la situation pénitentiaire en Belgique et de ce que sont les personnes qui forcément sont susceptibles d'évolution. Penser qu'une personne reste identique à elle-même pendant 25 ans alors qu'elle est soumise à des conditions de vie d'une dureté difficilement égalables, c'est une vue de l'esprit.
Par ailleurs, je crois que la prison est toxique et fondamentalement criminogène.