Le procès des attentats de Bruxelles a débuté ce lundi matin avec une heure de retard sur l'horaire prévu. Il s'agit d'un procès historique, le plus grand jamais organisé devant les assisses en Belgique. Les accusés, dont Salah Abdeslam, ont quitté la prison de Haren sous haute sécurité pour rejoindre le bâtiment du Justitia transformé en cour d'assises sur l'ancien site de l'OTAN. Lors d'une brève prise de parole pendant l'audience, l'accusé Mohamed Abrini a dénoncé ses conditions de transfert.
La cour d'assises de Bruxelles se lance ce lundi matin dans le long procès des deux attentats commis à Bruxelles. Des explosions avaient fait 32 morts et des centaines de blessés, le 22 mars 2016, dans une station de métro et à l'aéroport. Neuf accusés comparaissent. L'un d'eux doit répondre de participation aux activités d'un groupe terroriste, les autres sont également poursuivis pour assassinats et tentatives d'assassinat dans un contexte terroriste. Un dixième accusé est quant à lui présumé mort.
Ces accusés, dont Salah Abdeslam, ont quitté tôt ce matin la prison de Haren pour rejoindre le bâtiment du Justitia transformé en cour d'assises sur l'ancien site de l'OTAN. Un convoi sous haute sécurité dans un véhicule blindé de la police. "C’est l’un des moyens utilisés pour les transferts. Par ailleurs, Salah Abdeslam a sans doute dû avoir subi une fouille à nu, avoir été équipé de lunettes, voire d’un casque avec de la musique forte pour le désorienter durant le transfert", commente notre journaliste Antoine Schuurwegen.
Peu après 12h, l'accusé Mohamed Abrini a d'ailleurs demandé à prendre la parole pour dénoncer les conditions de son transfert. "On vous humilie, on vous met à nu, vous avez un bandeau sur les yeux et de la musique satanique à fond dans les oreilles", a-t-il fustigé, disant "avoir le sang qui bouillonne".
"J'ai entendu dire qu'il n'y avait pas de vengeance dans notre état, ça ne passe pas. Ça fait sept ans qu'on subit votre vengeance", affirme Mohamed Abrini. "Je ne répondrai à aucune question si ça se passe comme ça", a averti l'accusé. "Je prends sur moi pour être là, mais ce sont des choses qui ne se font pas. En France [au procès des attentats à Paris, NDLR], on a été respecté. Les choses doivent changer ou je garderai le silence jusqu'à la fin du procès", a-t-il prévenu.
Les conditions de transfert ne sont pas de la compétence de la cour d'assises, lui a répondu sa présidente Laurence Massart, ajoutant que "les procureurs (fédéraux) vous ont entendu". Ceux-ci ont alors pris la parole pour préciser que les conditions dénoncées ne ressortaient pas de leur compétence non plus. Elles ont été décidées sur base d'évaluations administratives, en tenant compte de la sécurité des détenus, de leurs proches (c'est-à-dire de leurs avocats) et de la police elle-même, a expliqué le procureur Bernard Michel. Il a assuré à Mohamed Abrini que ses doléances seraient relayées.
Des fouilles anales
Dans la foulée, Jonathan De Taye, avocat d'Ali El Haddad Asufi, a abondé dans le sens de Mohamed Abrini. Il a dénoncé les fouilles anales dont son client est l'objet chaque jour de transfert. Cela alors qu'il n'a rien dans sa cellule, qu'il est détenu dans un quartier de haute sécurité à la prison de Haren et qu'il ne voit aucun autre détenu, a-t-il insisté. "Ces gens vont accepter ça tous les jours?!", a-t-il interpellé la présidente.
L'avocat demande dès lors des conditions dignes pour ce procès, à l'image de ce qu'il s'est passé à Paris. "Si les conditions de détention ne sont pas dignes, le procès n'est pas digne", a encore lancé Me De Taye. Au regard de ces conditions, l'avocat a annoncé qu'il enverrait ce lundi une lettre de mise en demeure aux ministres de la Justice Vincent Van Quickenborne et de l'Intérieur Annelies Verlinden. S'ils ne réagissent pas, Jonathan De Taye introduira un référé et demandera à suspendre les débats dans l'intervalle. Il est enfin apparu qu'une lettre écrite notamment par Me Paci, l'avocate de Salah Abdeslam, a été adressée au parquet ainsi qu'aux ministres de l'Intérieur et de la Justice pour demander une amélioration des conditions de détention des accusés.
Une longue file d'attente pour la presse
La presse est présente en nombre au premier jour des débats sur le fond au procès. Les journalistes, venus des quatre coins d'Europe, ont cependant dû patienter plus d'une heure à l'extérieur, dans le froid, avant de pouvoir passer le contrôle de sécurité nécessaire pour accéder au site Justitia de Haren.
Le site était censé ouvrir à 7h30, mais l'accès pour la presse n'a cependant été possible qu'à partir d'environ 8h00, en raison de problèmes logistiques, semble-t-il. Entretemps, une longue file de journalistes s'était formée et nombre d'entre eux ont dû patienter pendant plus d'une heure.
Quel est le programme de ce premier jour ?
Mercredi, 36 jurés (12 effectifs et 24 suppléants) ont été retenus. Ce lundi, après un "faux départ" en octobre en raison de l'inadéquation du box des accusés, la cour d'assises s'est donc élancé donc dans le plus long marathon de son histoire, annoncé pour six à neuf mois d'audience.
L'audience de ce lundi matin devait normalement débuter sous le coup de 9h00, mais elle a finalement commencé un peu avant 10h. La cour a commencé par acter que deux jurés suppléants étaient absents, dont une a remis un certificat médical daté de mercredi vers 17h00, soit au moment où la cour entendait les demandes de dispense des candidats-jurés, avant de procéder au tirage au sort des 36 jurés, 12 effectifs et 24 suppléants. La cour a ensuite procédé à la prestation de serment des interprètes.
Vers 12h30, la cour a commencé à énoncer la longue liste des 957 personnes constituées partie civile au procès. D'autres personnes pourraient encore se constituer partie civile dans les prochaines semaines. Plusieurs personnes, victimes ou proches de victimes des attentats, ne sont pas représentées par un avocat, mais la plupart le sont. Par ailleurs, de nombreuses personnes se sont constituées au nom de leurs enfants mineurs. Deux principaux collectifs d'avocats ont été constitués pour représenter les intérêts de toutes ces personnes préjudiciées, V-Europe et Life 4 Brussels. La cour devrait terminer cette première audience après avoir terminé l'appel de toutes ces parties civiles.
Dès mardi, la parole sera donnée aux deux procureurs fédéraux du ministère public pour la lecture, qui devrait prendre trois jours, des 500 pages d'acte d'accusation. La semaine prochaine sera consacrée à la lecture d'éventuels actes de défense. L'interrogatoire des accusés ne devrait commencer, lui, que dans deux semaines.
Les accusés sont censés être interrogés à partir du 19 décembre, et les premiers témoignages de victimes attendus à la mi-janvier.
Face aux accusés, plus d'un millier de personnes
Dix hommes sont accusés. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres - Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa, Ali El Haddad Asufi, Smail Farisi - sont accusés de participation aux activités d'un groupe terroriste, d'assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d'assassinat terroriste sur 695 personnes. Le neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d'un groupe terroriste.
Face à ces neuf accusés, plus d'un millier de personnes réclament la réparation d'un préjudice, selon le parquet fédéral. Parmi ces parties civiles: des parents ou proches des 32 tués, des personnes blessées par les explosions ou traumatisées par les "scènes du guerre" vécues ce jour-là.
Etre partie civile ne signifie pas forcément souhaiter témoigner à la barre. Il s'agira notamment de recenser qui souhaite s'exprimer publiquement et de préciser un calendrier.
"On espère que nos souffrances seront reconnues, c'est ça l'important"
Danielle Iwens, qui travaillait derrière un comptoir d'enregistrement à Zaventem le 22 mars 2016, compte parmi les victimes qui n'iront pas au procès, par crainte d'éprouver "trop de stress". "Ce n'est pas bien pour ma santé, physiquement c'est trop dur", déclare à l'AFP cette femme de 58 ans, qui a perdu 60% de l'ouïe à une oreille et n'arrive plus à se concentrer comme avant.
Christian De Coninck, lui aussi, se fera représenter par son avocat. Cet ancien commissaire de police, appelé à la station de métro Maelbeek après le second attentat et encore "hanté" par ce qu'il y a vu, dit ne rien attendre des accusés qui doivent comparaître. "Qu'est ce qu'ils peuvent dire? Qu'ils ont eu une jeunesse malheureuse, ont été influencés par un imam, recrutés pour aller se battre pour le califat (...) Je n'ai pas envie d'entendre toutes ces salades", lâche M. De Coninck, désormais retraité.
A l'inverse, Philippe Vandenberghe a l'intention de venir témoigner du traumatisme subi lorsqu'il est intervenu comme secouriste bénévole dans le hall de l'aéroport dévasté par la double explosion. Au milieu de tous ces corps gisant au sol, certains démembrés. Pour cet informaticien de 51 ans, le procès doit être "le début d'autre chose". "On espère que nos souffrances seront reconnues, c'est ça l'important".
Sarah Ezmael Fazal a perdu sa soeur, Sabrina, à Maelbeek. 6 ans plus tard, elle est venue au procès pour représenter sa soeur. "Même s'il y a ma tante, les avocats, je suis là pour elle aujourd'hui". Le procès ne représente pas une épreuve difficile pour elle. Face aux accusés, elle se montrera sereine : "Je n'ai pas de haine envers eux, je leur ai pardonné. Aujourd'hui, je suis bien avec moi-même. Je marche confiante", répond Sarah aux questions des journalistes. En paix, elle ne pense pas avoir de réponses supplémentaires sur la motivation des actes des accusés.
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