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Laurent, un ouvrier de la région de Mons, a été abasourdi lorsqu'il a pris connaissance du futur prix de son électricité dans un courrier de son fournisseur ENGIE Electrabel reçu il y a quelques jours. Alors que cette année, avec son contrat à prix fixe d'un an, il paie 8,322 cents/kWh en heures pleines (il a un tarif bi-horaire comme la plupart des Belges, avec un prix plus bas en heures creuses), il déboursera 13,986 cents l'an prochain. Le bond est donc de 5,664 cents, soit +68%. Il a été prévenu par son fournisseur deux mois à l'avance comme le veut le règlement. "Je veux savoir ce qui justifie cette augmentation en un an", nous a demandé ce père de trois enfants via le bouton orange Alertez-nous, montrant aussi le contrat de 2017 quand il payait alors 7,554 cents. "On peut voir que sur deux ans les prix ont quasi doublé", écrit-il avant d'ajouter que le coût des énergies fait "très mal aux ménages".
Un habitant de Diegem en périphérie bruxelloise a eu le même étonnement en recevant une lettre similaire de son fournisseur Eneco. Il nous l'a aussi partagé via le bouton orange Alertez-nous. La pente sera un peu moins raide pour lui. Mais juste un peu moins: il paie 8,14 centimes/kWh et l'an prochain il connaîtra une majoration de 43%.
Chacune de ces deux personnes a appelé son fournisseur pour obtenir des éclaircissements. "On nous a répondu 'C'est comme ça partout vous pouvez vous renseigner!'", nous a rapporté Laurent. Quant à l'habitant de Diegem, il a compris que "l'État n’a pas assez d'électricité à nous fournir donc il doit s'en procurer ailleurs et nous, nous devons payer plus".
Qu'est-ce qui fait le prix de votre facture d'électricité ?
Nous avons, nous aussi, téléphoné à ENGIE Electrabel et Eneco. Avant de vous livrer les explications de leurs porte-paroles et afin de bien les comprendre, rappelons brièvement ce qui entre en ligne de compte dans votre facture. Vous payez quatre choses.
1. La production de l'électricité brute
Qu'elle ait lieu dans une centrale nucléaire (c'est principalement le cas chez nous), au gaz, au charbon, ou encore par l'intermédiaire d'éoliennes, de panneaux photovoltaïques, de barrages hydrauliques.
Cette production détermine le prix de base de l'électricité. Celui-ci dépend essentiellement de l'offre et de la demande. Il est fixé sur des marchés "de gros", une bourse de l'électricité (L'EPEX en Belgique).
2. Le transport
L'électricité doit être acheminée de son lieu de production (la centrale par exemple) vers les lieux de consommation (nos maisons, les lieux publics, les entreprises). Elle passe par ces imposantes lignes à haute-tension, souvent soutenues par ces grands pylônes qu'on observe dans le paysage. En Belgique, c'est la société Elia qui gère ces lignes et ce n'est pas gratuit.
3. La distribution
L'électricité qui arrive des lignes à haute tension est convertie en électricité à basse tension et amenée dans nos habitations où elle passe d'abord par un compteur pour mesurer notre consommation et établir la facture. Cette étape, c'est l'affaire des gestionnaires du réseau de distribution. Vous connaissez notamment Sibelga pour Bruxelles ou encore Ores en Wallonie. Ce sont souvent des regroupements d'anciennes intercommunales.
4. Taxes et redevances
Enfin, l'Etat prélève des taxes sur l'électricité.
Contrat à prix fixe ou variable
Autre élément à préciser, votre contrat avec un fournisseur d'électricité est à prix fixe ou variable. C'est un peu comme votre crédit hypothécaire. Si vous optez pour un prix fixe, vous payerez le même montant pendant 12 mois. Ce prix sera seulement revu à la fin de l'année. Attention, cela ne concerne que le prix lié à la production d'électricité (donc le point 1, le seul que contrôle le fournisseur). Par contre, il est possible que vous deviez payer plus ou moins en cours d'année pour le transport, la distribution ou une évolution des redevances. Si vous choisissez un prix variable, celui-ci variera pendant l'année en fonction du prix de l'électricité sur les marchés. Parfois, vous y gagnez, mais parfois, comme maintenant, on y perd.
Hydrocarbures plus chers et centrales nucléaires à l'arrêt
Venons-en finalement aux raisons de l'émotion de l'habitant de Mons et celui de Diegem. Qu'est-ce qui est à la source de la montée vertigineuse du prix ? Les deux porte-paroles, celui d'Engie-Electrabel et celui d'Eneco avancent globalement les mêmes raisons mais pas dans le même ordre.
Vous le voyez à la pompe si vous avez une voiture, le prix du carburant a particulièrement grimpé. Une évolution liée au cours du pétrole. Eh bien, l'électricité n'échappe pas, elle aussi, à la flambée du prix des hydrocarbures. Pourquoi ? Parce qu'une importante partie de l'électricité est fabriquée à partir de gaz ou de charbon. Si leur prix augmente, l'électricité coûtera plus cher à produire dans les centrales utilisant ces carburants fossiles.
En Belgique, l'électricité est surtout d'origine nucléaire. Ce qui a fait augmenter le prix, ce n'est pas tant le prix de l'uranium (pour rappel, l'énergie nucléaire provient de la fission d'atomes de cet élément) que l'indisponibilité de nombreuses centrales. En septembre, on a annoncé que les puissants réacteurs nucléaires de Tihange 2 et 3 ne fourniraient plus d'électricité jusqu'à la fin de l'hiver. Cet arrêt a provoqué la crise qui a fait la Une de nos médias à la rentrée et pendant laquelle on a évoqué un risque de manque d'électricité cet hiver. Cette crainte a fait grimper le prix de gros de l'électricité sur nos marchés. Aujourd'hui, après certaines solutions trouvées par le gouvernement, il semble que le risque d'une carence se soit éloigné et les prix ont diminué.
Le prix du CO2
Ajoutons encore un autre responsable: le prix du carbone. Depuis le traité de Kyoto visant à réduire l'émission des gaz à effet de serre pour lutter contre le réchauffement climatique, l'Union européenne a mis en place une sorte de "droit à polluer" qui se monnaye sur une bourse du carbone. En gros, une entreprise qui émet du CO2 pour sa production doit payer. C'est le principe logique du pollueur-payeur. Lorsqu'elle dépasse un plafond, si elle a besoin de produire plus et donc d'émettre plus de CO2, elle devra acheter cette quantité de CO2 à une entreprise qui, elle, respecte davantage l'environnement, n'a pas atteint son plafond et peut donc vendre son "excédent". Ce prix du CO2 a lui aussi augmenté et, bien entendu, le fournisseur le répercute sur la facture du client.
On a donc d'un côté l'indisponibilité de plusieurs centrales nucléaires chez nous (mais aussi en France), un prix des hydrocarbures et de "leur" CO2 élevés. De l'autre côté, on a une demande en électricité élevée en raison d'une économie mondiale qui tourne à grande vitesse. Ce choc déséquilibré entre offre et demande a entraîné la stupeur de Laurent devant les tarifs pour 2019.
ENGIE Electrabel et Eneco ne donnent pas les raisons dans le même ordre
C'est en substance l'explication que donnent les deux porte-paroles que nous avons joints par téléphone. Avec une différence toutefois: selon ENGIE Electrabel, c'est surtout le prix des hydrocarbures qui est responsable, l'indisponibilité des centrales a un effet mineur. Mais Eneco avance le contraire: c'est surtout l'arrêt des centrales nucléaires qui cause l'envolée du prix pour les contrats 2019 de nos deux alerteurs.
Développer les énergies renouvelables beaucoup plus vite
Si le prix de l'électricité de Laurent va augmenter de 68% dans deux mois, c'est avant tout une conséquence du marché où la demande est forte alors que l'offre n'augmente pas, voire, baisse comme chez nous avec l'arrêt de centrales nucléaires. La solution serait d'avoir une production beaucoup plus intense d'énergie verte. Mais leur développement est trop lent et est largement insuffisant pour combler les besoins ou même atteindre les objectifs vertueux (réalistes?) de la COP21. Une volonté politique doit surgir afin que des efforts soient entrepris pour accélérer l'installation de sources d'énergie renouvelable. "Les politiques affirmaient qu’il n’y aurait pas d’impact (de l'arrêt du nucléaire, Ndlr). J’ai toujours dit l’inverse”, déclarait Damien Ernst, professeur à l’ULG et spécialiste de l’énergie, dans la DH début septembre. La diminution de l’offre d’électricité venant des centrales nucléaires n’est pas compensée par les énergies vertes. “Nous en sommes encore loin”, constate le spécialiste.