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Roch vit depuis quatre ans au Qatar avec son épouse. Il a vécu personnellement le séisme géopolitique qui a touché le pays lorsque l'Arabie saoudite et ses alliés ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Contacté par notre journaliste Céline Gransart, il décrit la situation sur place.
Le Qatar, qui partage son unique frontière terrestre avec l'Arabie saoudite, dépend fortement des importations pour ses produits alimentaires, en provenance principalement des pays du Golfe. Ce petit émirat compte moins de deux millions d'habitants, en grande majorité des étrangers.
"Ça fait un peu effet de panique"
"Mon épouse a été faire des courses, et elle m'a dit que les rayons étaient dévastés. Ça fait un peu un effet de panique. Les gens pensent que ça va durer plus ou moins longtemps. Ils se sont rués sur les rayons de tout ce qui est importé via l'Arabie saoudite, puisque la vanne va être fermée, et qu'il n'y aura plus rien qui rentrera durant une période indéterminée", explique Roch. Les denrées concernées sont surtout des produits laitiers, de culture et de ferme.
"Les rayons de produits de longue durée, le riz, les pâtes, sont aussi dévastés. On suppose que les grandes surfaces vont achalander à nouveau dans les jours qui viennent. Mais ils vont devoir faire ça avec parcimonie pour pouvoir étaler dans le temps leur disponibilité", ajoute le Belge. "Puis je suppose qu'ils vont se retourner vers d'autres marchés. Vers du frettage européen ou asiatique. Avec, très certainement, on s'y attend tous, une augmentation des prix locaux, qui sont déjà relativement élevés par rapport à l'Europe. On s'attend à avoir une escalade à ce niveau-là", précise-t-il.
Les banques prises d'assaut par des expatriés
"Avec des collègues qui sont d'origine étrangère, on a ressenti aussi un mouvement vers les banques. Parce que les gens qui viennent des pays qui ont fermé leurs frontières avec le Qatar, ces gens-là ont peur que leurs comptes ne soient inaccessibles ou limités. Il y a un effet de semi-panique qui fait que les gens sont un peu stressés", décrit Roch.
"Au niveau des visas, il y a beaucoup plus d'angoisse. Parce que les quatre pays concernés n'ont plus de contact consulaire, les ambassades ont dû fermer. Visiblement, l'optimisme n'est pas de mise", explique notre témoin.
"On a le sentiment que l'Arabie saoudite suit des directives qui viennent d'ailleurs"
"Tout le monde est un petit peu sur ses gardes. En tant qu'Européens, on se sent un peu moins concernés, si ce n'est sur les prix de la vie courante", confie-t-il. "Le sentiment c'est clairement que l'Arabie saoudite suit des directives qui viennent d'autres horizons, et que le Qatar est pris en tenaille, pour ne pas forcément suivre l'avis de puissances étrangères", juge Roch. "C'est un peu une attaque vis-à-vis de l'autonomie du territoire. Mais ces sont des choses géopolitiques", ajoute-t-il.
Le gouvernement tente de rassurer la population
Avec un revenu annuel par habitant de 138.480 dollars en 2015 (selon la Banque mondiale), l'un des plus élevés au monde, le Qatar s'est hissé sur la scène internationale grâce à des investissements tous azimuts.
Pour tenter de rassurer les habitants et éviter que la panique ne se répande, le gouvernement du Qatar a publié lundi un communiqué assurant que les voies maritimes et aériennes resteront ouvertes aux importations. "Le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour (...) mettre en échec les tentatives de nuire à sa population et son économie", selon le texte.
Les exportations du Qatar, notamment la machinerie, les équipements électroniques ou le bétail passant par la frontière terrestre avec l'Arabie saoudite, pourraient également être lourdement affectés par la rupture des relations. Selon l'ONU, les exportations du Qatar vers l'Arabie saoudite représentaient 896 millions de dollars (796 millions d'euros) en 2015.
Les services, notamment le secteur touristique, pourraient eux aussi être touchés de plein fouet. Les Saoudiens fêtent souvent au Qatar leurs vacances de l'Aïd el-Fitr, après le mois de jeûne du ramadan, qui a commencé il y a dix jours. Mais avec l'interdiction faite aux citoyens saoudiens de se rendre au Qatar, de nombreux chauffeurs de taxi asiatiques qui dépendent des touristes se verraient pénalisés. "C'est une mauvaise nouvelle, une très mauvaise nouvelle", déplore Raihan, un chauffeur indien.