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Philippe n’arrive toujours pas à réaliser ce qu’il lui est arrivé fin novembre. Cet habitant d’Hamme-Mille (dans l’entité de Beauvechain) s’est fait voler sa voiture sous ses yeux et, quasiment, avec son consentement. Il a appuyé sur le bouton orange Alertez-nous pour nous raconter l’étrange situation dans laquelle il se trouve actuellement. "J’ai mis une annonce sur Internet parce que je voulais revendre mon véhicule", raconte-il. "C’est un peu un char d’assaut, il consomme un peu trop, donc je voulais acheter une voiture plus petite".
Plusieurs amateurs le contactent, mais les propositions d’achat ne se concrétisent pas. Il reçoit ensuite un coup de téléphone. "C’était un marchand, qui me disait qu’il était intéressé. Il est venu voir le véhicule, avec deux autres personnes. Il en a fait le tour, a posé des questions et il a négocié le prix. Finalement il m’a annoncé qu’il le prenait tout de suite". Fort surpris, mais content, Philippe baisse sa vigilance. "Je demandais 9.999 euros, on a finalement baissé le prix à 9.400 euros. Comme il marchandait, je ne me suis pas du tout méfié".
"J'ai reçu une copie du virement"
Les deux parties négocient ensemble les conditions de la vente. Philippe reçoit 400 euros en cash, et l’acheteur doit lui verser le reste de la somme sur son compte, devant ses yeux, via une application mobile de bpost. Et ce dernier pousse même le vice. "Il m’a carrément demandé d’avoir le code wifi de chez moi, car il n’y avait pas assez de réseau. Ensuite, il m'a montré qu'il faisait le virement". Philippe demande alors d’avoir une preuve du versement. Là encore, le marchand continue sa stratégie qui s’avérera par la suite bien frauduleuse. "Il m’a dit que quelqu’un allait l’imprimer, le temps qu’ils changent les plaques. Et en effet, j’ai reçu une copie du virement".
Ce n’est qu’après le départ du prétendu marchand que les choses se sont compliquées. "Il était reparti avec tous les papiers, même le contrat de vente. Je lui ai tout de suite retéléphoné et il m’a promis de me l’envoyer par la poste". Philippe commence à avoir des doutes. "J’ai montré le virement à mon père. Il m’a dit qu’il semblait correct, mais que c’était bizarre". Quelques jours plus tard, il reçoit un nouvel appel. C’était à nouveau son mystérieux acheteur. "Il m’a dit qu’il allait me faire une facture et que je devais envoyer ma carte d’identité". Philippe obtempère, mais il ne reçoit toujours rien.
Déclaration de vol auprès de la police
Il décide alors de prendre les choses en main et passe un coup de téléphone à bpost, pour tenter d’avoir des informations sur le compte bancaire duquel il devait recevoir l’argent. "Le premier opérateur m’a dit qu’il ne pouvait rien dire. J’ai rappelé plus tard, et là on m’a dit que le compte était bloqué depuis longtemps et qu’il valait mieux que je me rende à la police".
Arrivé au commissariat, les officiers lui disent clairement qu’il s’est fait arnaquer. Il remplit donc une déclaration de vol, et, furieux, recontacte ses escrocs en disant qu'il a tout dit à la police. Ils l'ont alors menacé à plusieurs reprises. Impossible cependant de les géolocaliser. "Le téléphone est toujours actif, mais ce genre de procédé a un coût énorme. Et eux, en plus, ils me contactent avec WhatsApp, ce qui est encore plus compliqué, car c'est une nouvelle technologie", déplore Philippe.
Il retrouve son véhicule... Mais il y a un souci
Face à ce blocage, il ne veut pas s’arrêter là. "J’ai consulté tous les sites de vente en ligne, pour essayer de retrouver mon véhicule". Et l’opération a été payante: il était en vente chez un marchand d’occasion, au prix de 10.990 euros. La police envoie alors une patrouille, mais il y a un problème. "On m'a annoncé que ce garagiste l’a acheté de bonne foi".
Impossible donc de récupérer son véhicule, puisque la dernière vente s’est faite légalement. Il appartient donc au concessionnaire. Philippe ne comprend pas: "Ma voiture a été volée, je la retrouve, et je ne peux pas la récupérer. C’est quand même débile". Pour l’instant, elle est saisie pour une durée de trois mois, le temps de l’enquête. Elle reste chez le garagiste, et si rien ne change, celui-ci pourra la revendre une fois le délai passé.
"On est de plus en plus face à ce mode opératoire"
Du côté de la police des Ardennes brabançonnes, là où Philippe a porté plainte, on indique que l’enquête est en cours. "Nous exploitons tous les moyens disponibles pour essayer d’identifier les suspects", déclare Laurent Broucker, le chef de corps de la zone. Mais ce n’est pas chose facile. "On ne dispose pas de l’identité de l’acheteur. Dans ce genre de cas, les numéros de téléphone sont souvent bidons, il y a très peu de moyens pour pouvoir déposer un dossier complet. Ces gens-là sont volatils et inventifs". Et ce n’est pas la première fois qu’il entend parler de ce type d’arnaque. "Ce n’est pas régulier non plus, mais on est quand même de plus en plus face à ce mode opératoire".
"C'était super bien fait"
Ce que Philippe n’arrive pas à comprendre, c’est qu’il s’est entièrement fait berner, sans s’en rendre compte. "Ils devaient payer 9.999 euros, et ils ont négocié! C’est ça qui est très étonnant. Puisqu’ils savaient qu’ils allaient voler ma voiture, pourquoi ont-ils négocié?", s’interroge-t-il. "Je ne me suis douté de rien. Quand j’ai reçu la preuve du faux virement, je n’y ai vu que du feu, c’était super bien fait". Ensuite, il a appris que sa voiture avait fait beaucoup de trajet. "En fait, elle a été revendue trois fois en une semaine de temps, tout d'abord à Courtrai. Et je l’ai finalement retrouvée à Wauthier Braine".
Tout cela fait partie de la stratégie des escrocs, selon Martin Favresse, avocat spécialisé en droit de la circulation routière, des assurances et de la responsabilité civile. "Tous ces changement successifs de propriétaires, c’est pour brouiller les pistes, tout simplement. Et ils vont parfois plus loin, en demandant des papiers qui ne sont pas nécessaires, ou bien une photo de la carte d’identité par exemple. S’il s’agit bien d’arnaqueurs, il arrive qu’ils réutilisent ces documents plus tard, pour une autre arnaque".
Plusieurs actions en justice sont possibles
Selon cet avocat, Philippe a plusieurs recours possibles. Tout d’abord, il peut tenter l’action en revendication, une procédure civile. "Il peut considérer que la vente n’était pas valable. Comme il n’a pas reçu de paiement, son consentement a été vicié. Pour cela, il doit prouver qu’il est toujours propriétaire du véhicule et il doit citer la personne qui le détient actuellement. La question sera ensuite statuée par le juge des saisies".
Deuxième possibilité: déposer une plainte auprès des services de police pour abus de confiance. "Dans ce cas, on ne sait pas si la police et la justice considéreront que le véhicule a bel et bien été volé". Enfin, Philippe peut aussi tenter de forcer la procédure pénale. "Il peut se constituer partie civile, et cela force une instruction, un procès. C’est coûteux, mais ça permet de demander que l’on bloque le véhicule", détaille l’avocat. L’objectif est évidemment de réagir le plus vite possible, pour ne pas perdre de temps.
"Il sera difficile de retrouver l'arnaqueur"
Ce n’est pas pour autant que tout sera simple. "Parce que dans ce cas-ci, on a affaire à un acquéreur de bonne foi. Il ne savait pas qu’il venait d’acheter un véhicule qui avait d’abord été volé. Il faudra donc retracer son parcours. Mais de fil en aiguille, il sera probablement difficile de retrouver l’arnaqueur, car son identité a sûrement été masquée". Et Martin Favresse le confirme, comme le concessionnaire a acheté le véhicule en toute légalité, il a pour le moment le droit de le garder.
Si on ne retrouve par l’arnaqueur, l’issue des procédures va d’office poser problème soit à Philippe, soit au concessionnaire qui possède la voiture. "Il y en aura alors un qui va définitivement perdre la voiture, sans récupérer son argent. Et ça, ça sera au juge de statuer. Même s’il apparaît clairement que la victime a été arnaquée, il n’y a pas de jurisprudence. Et donc c’est vraiment du cas par cas".
Que faire pour ne pas se retrouver dans une telle situation?
Il faut tout simplement être prudent. "Dès que les affaires sont trop belles, que les gens veulent directement mettre le prix que vous demandez et qu’ils insistent pour régler la vente le plus vite possible, il faut se méfier, car c’est facile d’être arnaqué". L’avocat en profite pour rappeler des conseils de prudence élémentaires: "Vous ne libérez pas votre bien à quelqu’un que vous ne connaissez pas, sans vous assurer du paiement. Il faut d’abord être payé, avant de céder le bien, quel qu’il soit". Autre possibilité, plus classique mais qui est imparable: conclure la vente dans les règles, auprès d’une banque.
"Le meilleur conseil, c’est bien de se dire que quand c’est trop beau pour être vrai, c’est de l’arnaque", confirme Laurent Broucker, de la zone de police des Ardennes brabançonnes. "Il faut être méfiant, mais de manière intelligente et reconnaître les agissements suspects. Dès qu’on vous présente des histoires un peu trop rocambolesques, ça doit éveiller votre attention". Et s’il y a le moindre doute, un seul réflexe: "Appeler le 101, ainsi on peut dépêcher une équipe sur place. Et si on est assez rapides, on peut peut-être arrêter les personnes".
Et si finalement il est trop tard, il ne faut pas hésiter à aller porter plainte. "Ce qu’il faut, c’est être attentif à tous les petits détails, comme le véhicule que la personne a utilisé, les moyens de communication, etc. Toutes ces pièces nous permettent d’essayer d’identifier les suspects". Autre objectif aussi: tenir à l’œil ce type de phénomène et son évolution, pour pouvoir faire la prévention nécessaire et adéquate auprès de la population.
"On va faire une demande de récupération du véhicule"
Entretemps, Philippe a été contacté via Facebook. "Une personne sans profil m’a demandé si moi aussi je m’étais fait voler mon véhicule. Elle m’a demandé comment ça c’était passé, et où ça en était… Je me suis méfié". Et Philippe fait bien. "La police m’a dit qu’il s’agissait probablement des escrocs, et qu’ils essayaient d’avoir des informations sur l’avancée de l’enquête. Je n’ai plus répondu". Mais impossible évidemment d’identifier celui ou celle qui se trouve derrière l’envoi de ces messages pour le moment.
Philippe est donc coincé. Sans l’argent de la vente de son véhicule, il ne peut pas en acquérir d’autre, et doit attendre. Une histoire qui lui laissera probablement longtemps un goût amer. Il a, avec son père, entamé une procédure auprès de la justice. "Pour l’instant, mon père m’a prêté sa voiture, car j’habite à la campagne. J’ai donc pris un avocat, et on va faire une demande de récupération du véhicule. Mais on va aussi demander une saisie plus longue, et essayer qu’elle ne dure pas trois mois, mais bien six, histoire de gagner du temps… Et mon avocat m’a dit que ça risquait d’être bien difficile".