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Rare et profondément conflictuelle, la procédure de destitution engagée par les démocrates contre Donald Trump pourrait nuire aussi bien au président républicain qu'à l'opposition, plongée dans cette féroce bataille à l'approche des élections de 2020. Mais une chose est sûre: la fin de mandat de l'ancien homme d'affaires sera marquée par une grande paralysie à Washington.
- Trump peut-il en sortir gagnant? -
Le milliardaire a claironné dès mardi que cette procédure profondément impopulaire lui serait bénéfique dans les urnes en novembre 2020, lorsqu'il briguera un second mandat. Son équipe de campagne affirme qu'en voulant apaiser leur "base gauchiste, extrême et enragée", les démocrates vont "galvaniser" les supporteurs du milliardaire et lui offrir une "victoire écrasante".
"Il est toutefois difficile d'imaginer comment sa base pourrait être plus mobilisée", tempère Christopher Arterton, professeur à l'université George Washington. Et les électeurs démocrates aussi pourraient en ressortir plus galvanisés.
S'il compte bien sur des supporteurs très fidèles, cette base reste limitée et M. Trump peine depuis son arrivée à la Maison Blanche à l'élargir. Or il n'a été élu en 2016 que grâce à quelques dizaines de milliers de voix: le républicain devrait être inquiet, estime John Hudak, chercheur au centre de réflexion Brookings.
"Il est très difficile de comprendre pourquoi il croit que ceci pourra l'aider", explique-t-il.
Si, chauffées à blanc, les bases des deux partis ne vont de toute façon pas changer d'opinion, "les électeurs indépendants, plus modérés, pourraient le faire (...) Il court un véritable risque que ceci lui porte préjudice auprès de groupes d'électeurs clé".
- Quels risques pour les démocrates? -
La chef des démocrates au Congrès Nancy Pelosi le martelait elle-même depuis des mois, lorsqu'elle tentait de contenir l'aile progressiste du parti qui appelait à destituer Donald Trump: en lançant une procédure aussi impopulaire, les démocrates risquaient d'être durement sanctionnés dans les urnes.
Notamment car le président américain sera probablement "acquitté" par le Sénat, où les républicains lui restent en majorité fidèles, et pourra donc trompeter, juste avant les élections, qu'il a été blanchi.
C'est "une voie risquée", admet Larry Sabato, politologue à l'université de Virginie.
Les démocrates préféreraient boucler toute la procédure aussi vite que possible, afin qu'elle ne domine pas la campagne présidentielle, lorsque les électeurs pourraient s'indigner de voir leurs élus batailler au lieu de lutter pour les grandes questions qui les préoccupent. Mais il semble plus probable que les commissions parlementaires enquêtent jusqu'au moins début 2020.
Comme pour Donald Trump, tout passera par la perception des électeurs modérés.
"Si ceux au milieu finissent par croire que cette enquête n'est qu'un simulacre, du théâtre politique (...) les démocrates en payeront le prix" dans les urnes, analyse John Hudak.
La longue résistance de Nancy Pelosi, habile stratège, à opter pour cette voie explosive peut toutefois jouer en leur faveur, en renforçant l'idée qu'avec l'affaire ukrainienne, une ligne rouge --relativement facile à saisir pour le grand public-- a été franchie.
"Si cela avait été annoncé par quelqu'un qui hurlait en faveur d'une destitution depuis six mois, cela ne serait pas aussi fort", renchérit John Hudak.
La bataille est lancée et "il n'y aura au final qu'un vainqueur", conclut-il.
- Paralysie législative ? -
Les démocrates de la Chambre "ont détruit toutes chances d'avancées législatives pour les (Américains)", a accusé mardi soir la porte-parole de la Maison Blanche Stephanie Grisham.
Alors que les deux partis sont à couteaux tirés, il paraît en effet difficile d'imaginer de grandes avancées législatives à Washington.
Mais l'idée que la procédure de destitution sera responsable de ce blocage est "risible", réagit Larry Sabato. "Rien ou presque n'allait de toute façon être accompli", ajoute-t-il.
Depuis janvier, le Congrès est divisé entre une Chambre à majorité démocrate et un Sénat contrôlé par les républicains. Peu d'avancées en sont sorties.
Et puis, une fois la fièvre retombée, "les parlementaires vont retourner à leurs affaires", prévoit M. Hudak, soulignant que les enquêtes des démocrates pour soutenir leur dossier, même ultra-sensibles, n'occuperont pas tout leur temps.
"L'histoire de la destitution dominera l'actualité jusqu'à la fin de l'année", prévoit Donald Wolfensberger, expert sur les questions parlementaires au Centre Wilson. "Mais en 2020, elle sera considérée comme une question secondaire, conflictuelle et marquée politiquement".