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“Ça fait plus de vingt ans que je me fais vacciner, mais cette année je ne pourrai pas!” Robert, 71 ans, est pourtant considéré par les autorités belges comme une personne prioritaire, car appartenant à la catégorie A. Il devait, comme les personnes de plus de 65 ans et celles à risque (comme les femmes enceintes, personnel soignant, etc.), recevoir le vaccin contre la grippe saisonnière avant le 15 novembre. Cet habitant de la province du Hainaut nous a contactés, comme de nombreuses autres personnes, via le bouton orange Alertez-nous. Inquiet, il dénonce le manque de stocks dans les pharmacies du pays. “Je me suis rendu dans 3 d’entre elles, toutes ont eu le même discours: il n’y aura plus de vaccins cette année”, déplore-t-il. Puis d’ajouter: “Ça fait 4 semaines que j'essaye de m’en procurer, sans succès!”
Pourtant, cette année, 3 millions de doses avaient été commandées pour toutes les pharmacies du pays, soit 600 000 de plus que les années précédentes. Où sont donc passés tous ces vaccins?
90% des pharmacies bruxelloises n’ont plus de vaccins disponibles
Pour tenter de répondre à cette question et voir si oui ou non les pharmacies belges manquent de doses pour vacciner les personnes prioritaires, nous en avons contacté plus d’une trentaine en région bruxelloise. Pour que le résultat soit précis et en accord avec la réalité, deux voire trois pharmacies ont été appelées par commune. Et le résultat est sans appel: 90% des pharmacies de la région bruxelloise n’ont plus de vaccins disponibles. Seuls 10% d’entre elles avaient encore des doses en stock, mais déjà réservées par des personnes prioritaires.
On n’a plus du tout de vaccins depuis au moins 1 mois, et on a une liste d’attente avec environ 200 personnes, toutes prioritaires!
“C’est la pénurie totale depuis septembre déjà!” lance ce pharmacien travaillant à Saint-Josse. Même son de cloche pour Pharma Brussels Flagey: “Ça fait déjà longtemps qu’on n’a plus de vaccins en physique, au moins 3 semaines. Cette année, la demande a été plus importante que les doses qu’on avait vraiment en pharmacie”. Pareil pour la Pharmacie Buyl: “On n’en a plus du tout depuis au moins 1 mois. Et on a une liste d’attente avec environ 200 personnes, toutes prioritaires!” Ce cas n’est malheureusement pas isolé: 90% des pharmacies contactées avaient une liste d’attente allant de 10 à 200 personnes appartenant toutes à la catégorie A.
Cette année, le gouvernement avait prévu une approche de vaccination différente, notamment à cause de l'épidémie de coronavirus.
Contrairement aux années précédentes où le vaccin contre la grippe n'était fourni qu'aux personnes de catégorie A, le gouvernement avait décidé d'ajouter la catégorie B. Définis par le Conseil Supérieur de la Santé, le groupe A comprend les personnes âgées de plus de 65 ans et celles à risque comme les femmes enceintes ou le personnel soignant (A), tandis que le groupe B rassemble des personnes entre 50 et 65 ans.
Une vaccination séquencée devait avoir lieu pour garantir que les gens de ces groupes soient vaccinés avant les autres, du 15 septembre au 15 novembre. Autre nouveauté, ces groupes n'avaient pas besoin de prescriptions médicales pour le recevoir, surtout pour faciliter leur vaccination.
Alors, fausse ou bonne idée?
On a été obligé de refuser le vaccin à énormément de personnes à risque, qui étaient en plus nos clients
Le 15 novembre, la vaccination n'a finalement pas été étendue au reste de la population comme prévu car il n'y a pas assez de doses. Pire, il n'y en a actuellement même plus assez pour les personnes prioritaires.
Les autorités sont même revenues sur leur décision initiale et depuis le 30 octobre seules les personnes de catégorie A, et celles considérées comme à risque, peuvent encore recevoir le vaccin contre la grippe.
Mais de nombreuses pharmacies font le même constat: “On a été obligé de refuser le vaccin à énormément de personnes à risque, qui étaient en plus nos clients, parce qu’on a juste plus de doses en stock! Cette année, la demande a explosé”, explique une pharmacienne.
Tous expliquent être sous tension depuis le début de la phase de vaccination et dénoncent un manque de communication autour des stocks: “On en a ras-le-bol! Et surtout, on ne comprend pas ce qu’il se passe! Sur les 200 vaccins que j’ai commandés, j’en ai reçu seulement 10!”, s’insurge cette pharmacienne indépendante basée à Saint-Gilles.
Ces commandes, les pharmacies doivent les passer presque un an à l’avance, à savoir au mois de février de cette année. Elles se basent généralement sur les stocks écoulés les années précédentes pour savoir le nombre de doses qu’elles vont devoir commander.
Les autorités ne s’attendaient pas à une telle demande
“Les autorités ne s’attendaient pas à une telle demande”, explique Alain Chaspierre, porte-parole de l’Association des Pharmacies Belges (APB). “Pourtant, on les a alertées sur le sujet depuis le mois de mai, on leur a expliqué qu’on allait certainement avoir un problème de doses.”
Avec l’arrivée de la crise du covid-19, l’APB redoutait déjà une pénurie de vaccins contre la grippe, notamment en vue d’une deuxième vague du virus à l’hiver 2020.
Une erreur d'élargir d'emblée la vaccination à la catégorie B ?
Malgré ces inquiétudes, le gouvernement a quand même pris la décision de vacciner les groupes appartenant aux catégories A et B. Pour Alain Chaspierre, c’était une erreur: “La vaccination pour la catégorie A et B n’aurait pas dû avoir lieu en même temps. On ne s’attendait pas à une telle demande. Les pharmacies ont vu des gens qui ne venaient pas se faire vacciner les années précédentes et qui le faisaient cette année. La demande a été énorme!”
Et pour cause, chaque année, 60 000 doses restent invendues par les pharmacies, à leurs propres frais. “Malgré des campagnes de sensibilisation pour le vaccin contre la grippe saisonnière, la Belgique a un taux très bas de couverture vaccinale et n’atteint même pas les 40%!”, continue le porte-parole des pharmaciens.
Mais cette année, c’est un pic jamais atteint, surtout à cause de la pandémie actuelle. Et, malgré les 600 000 doses supplémentaires, le pays n’en aura pas suffisamment, et ce, peut-être même pour les personnes de catégorie A. “Des livraisons sont encore prévues, mais aujourd’hui, même avec ces doses en plus, je crains qu’on ne soit trop court,” s’inquiète Alain Chaspierre. “L’élément qui explique le plus cette situation est le manque de conscience de la population belge en termes de vaccination contre la grippe. Si chaque année, toutes les personnes à risque venaient se faire vacciner, aujourd’hui, on aurait 100% des doses”, estime le porte-parole. “Les pharmaciens sont très à cran! Ils ont dû jouer à la police en sélectionnant qui pouvait se faire vacciner ou non, ce n’est pas leur rôle et c’est très difficile de l’expliquer aux clients parfois.”
On ne peut plus fabriquer de nouveaux vaccins, la Belgique a eu ses 3 millions de doses et doit se débrouiller avec ça
Un vaccin fabriqué près d’un an à l’avance
“On ne peut plus fabriquer de nouveaux vaccins. La Belgique a eu ses 3 millions de doses et doit se débrouiller avec ça”, explique Alain Chaspierre. “Les firmes déterminent la quantité de vaccins qu’elles doivent fabriquer plus d’un an à l’avance! Et les pharmacies les précommandent en février de la même année”, continue-t-il.
Le processus de fabrication est effectivement long et compliqué. “Tous les ans, les experts analysent quelles variantes des types de virus de la grippe sont susceptibles d’apparaître au cours de la prochaine saison de la maladie”, explique l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) sur son site internet. Ces souches sont ensuite analysées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui indique aux firmes en février “quelles variantes peuvent être incluses dans le vaccin contre la grippe.” S’ensuit la fabrication du produit pendant environ 6 mois.
Source: Sanofi
“La production des vaccins grippaux s’effectue sur des œufs de poule fécondés, de neuf à douze jours. Le virus est injecté dans des milliers d’œufs, qui sont alors mis à incuber pendant deux à trois jours pendant lesquels le virus se multiplie. Le blanc d’œuf, qui contient désormais des millions de virus vaccinaux, est ensuite récolté et le virus séparé”, explique l’OMS sur son site. Il faut ensuite environ deux semaines pour produire un “lot d’antigènes”. Lorsque ce dernier a été produit, le fabricant doit recommencer ce processus autant de fois que nécessaire pour produire le nombre de vaccins demandés. “Les lots sont ensuite dilués pour obtenir la concentration voulue en antigènes, puis on procède au remplissage et à l’étiquetage des flacons ou des seringues. Ce processus prend deux semaines.”
Un virus de la grippe “quasiment inexistant” dans l'hémisphère sud cette année
En moyenne, l’épidémie de grippe cause 1 000 décès par an en Belgique dont plus de 90% concernent les personnes âgées de 65 ans et plus. En Europe, 60 000 personnes meurent du virus de la grippe. Cette année, avec la pandémie du covid-19, la grippe était au coeur des préoccupations et tout a été mis en oeuvre pour éviter une double pandémie: priorité aux personnes à risque, plus de vaccins commandés… Mais cela n’a pas empêché une pénurie en Belgique, mais aussi dans d’autres pays européens à cause des inquiétudes liées au covid-19.
Mais Alain Chaspierre se veut tout de même rassurant: “Cette année, sûrement grâce aux mesures anti-covid comme le masque, la distanciation et le lavage de main, le virus de la grippe a été moins virulent, voire quasi inexistant, dans l’hémisphère sud. Ça devrait être pareil pour chez nous.”