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"Encre sympathique", le 29e roman du prix Nobel de littérature Patrick Modiano, sort la semaine prochaine en librairie et les amateurs de la fameuse "petite musique" orchestrée par l'écrivain depuis "La Place de l'étoile" ne seront pas déçus.
L'épigraphe signée Maurice Blanchot donne la clé du récit: "Qui veut se souvenir doit se confier à l'oubli, à ce risque qu'est l'oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir".
Tout est dit (ou presque). Modiano l'espiègle nous raconte l'histoire d'un enquêteur... amnésique.
"Il y a des blancs dans cette vie...". Ainsi débute ce roman écrit (comme le précédent) à la première personne. Dans sa jeunesse, le narrateur (un certain Jean Eyben) fut chargé par l'agence de détectives Hutte de retrouver une jeune femme disparue, Noëlle Lefebvre. Le dossier est maigre. Tout juste sait-on (mais ce n'est pas certain) que la jeune femme aurait habité rue Vaugelas à Paris.
Trente ans ont passé. Jean Eyben tente de reconstituer le puzzle de cette affaire irrésolue.
Le livre que le lecteur tient entre ses mains est en fait le journal de Jean. Il écrit pour se souvenir mais les indices sont épars et la mémoire vacillante. Comment combler les blancs qui persistent?
Il y a deux ans, Patrick Modiano, salué par le comité Nobel pour son "art de la mémoire", évoquait avec un autre narrateur prénommé Jean des "Souvenirs dormants".
- Le "chaînon manquant" -
Au fil de sa quête, Jean (c'est le premier prénom de Modiano qui pour l'état-civil s'appelle Jean Patrick Modiano!) retrouvera les traces enfouies de sa propre vie. "Je finissais par croire que j'étais à la recherche d'un chaînon manquant de ma vie", constate-t-il stupéfait.
"A mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j'éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l'encre sympathique (...) Peut-être, au détour d'une page, apparaîtra peu à peu ce qui a été rédigé à l'encre invisible (...) D'une écriture très nette et qui ressemble à la mienne, les explications seront données dans les moindres détails et les mystères éclaircis", se prend-il à espérer.
Dans le fracas de sa mémoire, Jean se remémore des noms (Gérard Mourade, Roger Béhaviour à moins que ce ne soit Béavioure, Georges Brainos, Sancho...), des lieux (le dancing de La Marine à Paris, un château en Sologne, Annecy...).
Les plus fidèles lecteurs de l'écrivain âgé aujourd'hui de 74 ans se régaleront des minuscules indices distillés dans les pages du roman publié, comme les précédents, chez Gallimard.
L'agence de détectives Hutte se trouvait au cœur du roman "Rue des Boutiques obscures", Brainos et la rue Vaugelas apparaissaient dans "L'Horizon", Annecy servait de décor à "Villa Triste"...
Jean tourne en rond. Son enquête reste au point mort. "Brusquement, j'ai éprouvé une grande lassitude à évoquer le passé et ses mystères. C'était un peu comme ceux qui avaient essayé, pendant des dizaines et des dizaines d'années, de déchiffrer une langue très ancienne. L'étrusque par exemple", se lamente-t-il.
L'étrusque... comme la langue parlée jadis à Rome. Aucun mot n'est jamais là par hasard dans un roman de Modiano.
C'est justement à Rome que nous entraîne brusquement l'écrivain. Le lecteur ne lit plus le journal de Jean. Le roman passe à la troisième personne. Deux personnages se rencontrent. S'agit-il de Jean Eyben et de Noëlle Lefebvre?
Pour saisir le réel, nous enseigne Modiano, il faut faire confiance à l'intuition, à l'imagination du romancier plutôt qu'aux souvenirs flous des témoins. "Demain, promet l'écrivain, ce serait elle qui parlerait la première. Elle lui expliquerait tout.".