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Le 7 juin 1944 au matin, 3.000 civils normands ont déjà péri sous les bombes alliées, autant que de militaires morts sur les plages la veille, une stratégie qui a aussi défiguré les villes normandes.
Carentan, Vire, Valognes, Coutances... ou encore Saint-Lô connaissent dès l'après-midi du 6 juin un enfer de feu et de fer. Le calvaire des civils bas-normands démarre quelques heures après le débarquement des premières troupes sur les plages.
"Le 6 juin, mon père a dit au voisin +il y a un orage sur la côte, ça cogne !+... mais on a vite compris que ça n'était pas un orage", se souvient Fernande Mignon, 93 ans, dans sa maison de Fleury-sur-Orne, à quelques centaines de mètres de celle où elle a grandi.
"Le 6 et le 7 juin, on voyait les bombes tomber sur Caen sans arrêt, ma mère a forcé mon père à aller nous réfugier dans les carrières", continue Mme Mignon, qui y restera jusqu'à la libération de la ville le 19 juillet.
Pendant ce temps, les bombardiers alliés ont transformé en ruines la plupart des centres-villes bas-normands.
"Pour que le Débarquement réussisse, il faut que la tête de pont sur les plages tienne de 48 à 72 heures: pendant trois jours, il va falloir ralentir les renforts allemands" qui convergent vers le Calvados, explique le directeur du Mémorial des civils dans la guerre de Falaise, Emmanuel Thiébot.
Et à cette époque, les axes principaux traversent les villes, en l'absence de rocades ou d'autoroutes, rappelle M. Thiébot.
Au soir du "jour le plus long", 3.000 civils sont déjà morts, soit à peu près autant que de militaires sur les plages.
Vire, Condé-sur-Noireau, Pont-L'Evêque, Flers, L'Aigle... font aussi partie de cette liste maudite de l'Etat-major allié.
En deux vagues et plus de 1.500 avions, les aviateurs donnent le coup de grâce avec des bombes incendiaires dans la nuit du 6 au 7 juin.
Le bilan est de 700 morts en une seule nuit à Lisieux.
- "Détruit, rasé" -
Caen, qui devait être prise le 6 juin ne l'a pas été: elle sera bombardée également.
Dans leur ouvrage "Les civils dans la bataille de Normandie" (éd. Orep), Françoise Passera et Jean Quellien racontent la même scène partout en Normandie.
Des citadins sur le pas de leur porte, qui regardent passer les avions, pensant qu'ils vont plus loin, à l'arrière, avant de voir les soutes s'ouvrir et les chapelets de bombes tomber.
Les historiens rapportent le témoignage d'une collégienne de 15 ans de Saint-Lô: "Il est huit heures, nous entendons un grondement d'avions".
"Une énorme secousse, nous nous embrassons, croyant que tout est fini. Par les fenêtres, une lueur rouge, le feu", décrit-elle, "Je suis les silhouettes vagues de papa et maman, aveuglée par une poussière dense. A une fenêtre, une grande femme apparaît en hurlant, les mains et le visage ruisselant de sang...".
Devant la mairie de Caen, le premier adjoint Joseph Poirier a vu une quinzaine de personnes être "enterrées vivantes dans une tranchée" à côté de l'un de ses amis, "décapité".
Si les cibles sont atteintes, "cette tactique n'est pas d'une grande efficacité militaire, loin de là, car les Allemands ont évité les axes principaux", explique M. Thiébot.
Dès le 6 au soir et encore plus le 7, les renforts allemands arrivent sur la ligne de front.
Les civils en revanche paient le prix fort car les tracts largués trois mois avant le Débarquement par les Alliés et qui exhortaient les habitants à partir "sur-le-champ", ont eu peu d'effet.
"Vous qui lisez ce tract, vous vous trouvez près d'un centre essentiel à l'ennemi (...) qui sera attaqué incessamment", pouvait-on y lire.
Dispersés par les vents, beaucoup de ces tracts tombent dans les champs. Ceux reçus par les citadins n'ont guère plus de succès.
Les habitants de Falaise ou Saint-Lô, ne côtoyant aucune garnison allemande, ne se sentent pas concernés et restent chez eux.
Les Normands plus prudents qui partent quelques jours reviennent quand ils apprennent qu'aucune bombe n'est tombée.
Du 6 juin au 23 août, 14.000 Bas-normands vont perdre la vie chez eux.
Fernande Mignon, elle, aura passé six semaines au fond de "sa" carrière à dormir sur la paille, à "manger ce qu'on trouvait", la peur au ventre, avec le bruit incessant des bombes qui cognent à la surface.
Le 19 juillet, un Canadien à l'accent québecois entre dans la carrière pour annoncer la fin des combats, "tout le monde a explosé de joie".
Mais le retour en ville est lugubre.
"Le quartier Saint-Jean, la gare, Vaucelles, tout était détruit, rasé" et la maison familiale avait "les vitres cassées, les portes arrachées, il pleuvait dans la maison".
Il faudra "plusieurs années" avant de reprendre une "vie normale".