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Il ne se passe pas un jour en France sans que de nouvelles révélations n'éclairent le passé trouble de l'abbé Pierre. Ce matin, c'est le quotidien Libération qui révèle que dès 1957, les dirigeants d'Emmaüs savaient tout du comportement de l'abbé avec les femmes. C'est pourquoi il avait été envoyé dans une clinique en Suisse.
En France, le choc est immense, l'abbé fut pendant des années désigné personnalité préférée des Français. 600 lieux, rues, écoles, jardins publics portent d'ailleurs son nom dans l'hexagone, plusieurs communes ont déjà entrepris de les débaptiser. Les informations publiées par Libération viennent s'ajouter à celles apparues depuis la mi-juillet, à la suite d'une enquête initiée d'ailleurs par la fondation Abbé Pierre, qui a décidé de changer de nom.
Les premiers actes avérés et documentés remontent à son voyage triomphal aux États-Unis en 1955. Plusieurs femmes se plaignent de son comportement à New York, Chicago et Washington. Son voyage était écourté pour éviter le scandale. Sur place, il avait été décidé de ne jamais laisser le fondateur d'Emmaüs seul avec une femme.
Clinique en Suisse
En 1957 et 1958, il est envoyé dans une clinique à Prangins, en Suisse, où il subit un traitement intensif fait de médicaments et de cures de sommeil. Il séjourne ensuite dans un monastère.Il est mis de facto sous tutelle, écarté de la direction d'Emmaüs. Son courrier et son compte bancaire sont contrôlés.
Dans un premier temps, l'abbé entérine le protocole qui lui est imposé, mais très vite, avec l'aide de sa fidèle secrétaire Lucie Coutaz, qu'il a connue dans la Résistance, il reconstitue une équipe, change de médecin et rentre en France. En 1963, au Québec, il reproduira les actes d'agression sexuelle commis auparavant aux États-Unis. Il est dénoncé et risque des poursuites judiciaires. C'est l'évêque de Montréal qui le fait exfiltrer avec comme condition de ne jamais revenir au Canada.
L'Église savait
À tel point que le 27 juin 1958, alors que le gouvernement français envisage de lui décerner la Légion d'honneur, l'archevêque Maurice Feltin lui écrit pour le supplier de ne pas remettre cette décoration à ce qu'il appelle un grand malade. Pourtant, l'abbé Pierre accédera à tous les grades et finira Grand-Croix en 2005, deux ans avant sa mort.
Il cédait à la tentation
Aujourd'hui, la plupart des politiques français qui l'ont connu, dont son ami Bernard Kouchner, disent tomber des nues. "Oui, il cédait à la tentation", raconte le French Doctor. "Il me l'avait dit, mais des viols, non !" Et pourtant, plus de 20 femmes ont dénoncé des actes qui se sont déroulés entre les années 50 et 90. La plus jeune avait 9 ans.
C'est pourquoi des communes ont commencé à retirer son nom des rues. Des rues Abbé Pierre ou Henri Grouès, Brest, Viennes. D'autres s'y refusent encore, comme Manosque. Rien n'est simple. Mais celui qui a été désigné 17 fois personnalité préférée des Français apparaît comme un Janus, un être au double visage. Le bienfaiteur des pauvres et l'agresseur des femmes. Plus qu'un grand pêcheur, un criminel en puissance.