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Prostitution: la CEDH valide la pénalisation des clients en France

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FREDERICK FLORIN

Un Etat peut pénaliser l'achat de relations sexuelles, a tranché jeudi la Cour européenne des droits de l'homme, validant la loi française de 2016 sur la prostitution.

"La décision de la CEDH valide la position abolitionniste de la France. Le corps des femmes n'est pas à vendre. Le désir ne s'achète pas", s'est félicitée la ministre démissionnaire chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes Aurore Bergé.

C'est un "signal fort que la CEDH conforte la loi française", s'est aussi réjouie Lenaïg Le Fouillé, secrétaire générale du Mouvement du Nid, association abolitionniste. "Les pays abolitionnistes comme la Suède ou l'Irlande regardaient avec intérêt cette décision de la CEDH".

A l'opposé, une experte onusienne a jugé la décision de la cour "contraire au droit international".

"Le meilleur moyen de respecter les droits des travailleurs du sexe c'est de décriminaliser leur travail", a estimé Tlaleng Mofokeng, rapporteuse spéciale pour le droit à la santé physique et mentale.

Sarah-Marie Mafessoli, référente travail du sexe chez Médecins du Monde France, s'est dite déçue "car la Cour reconnaît que la pénalisation des clients a un impact négatif sur leurs travailleurs du sexe (...) mais refuse de condamner la France".

- Clandestinité -

La CEDH était saisie par 261 hommes et femmes exerçant une activité de prostitution licite en France, qui dénonçaient l'impact de la loi du 13 avril 2016 sur leurs conditions de vie et de travail.

Celle-ci a abrogé le délit de racolage et l'a remplacé par la pénalisation des clients, désormais passibles d'une amende de 1.500 euros (3.750 euros en cas de récidive), même s'ils sont rarement poursuivis dans les faits.

Les requérants soulignent que la loi a poussé les personnes prostituées à la clandestinité, les exposant davantage aux agressions et aux infections sexuellement transmissibles.

"Ayant moins de clients, ma possibilité de choix s'est réduite. Et depuis cette loi, je me suis vu accepter des pratiques (et des tarifs) que j'avais la possibilité de refuser avant", a ainsi témoigné sous couvert d'anonymat A.M., soulignant sa "grande difficulté, voire une impossibilité, à imposer la capote".

"Je pouvais trier et choisir le client avant cette loi. Depuis qu'il se fait rare, je prends des risques", a également rapporté anonymement S.T., citée dans l'arrêt. "Certaines collègues se sont fait violenter, voler alors que cela n'arrivait jamais avant".

Amnesty International comme Human Rights Watch ont regretté la décision de la cour, HRW estimant que la loi a entraîné une augmentation des meurtres, "avec 10 travailleuses du sexe tuées en France sur une période de six mois en 2019".

- Précarité -

Les requérants avaient déposé une requête devant la Cour de Strasbourg en 2019. Ils soulignaient que la loi de 2016 portait atteinte au droit au respect de la vie privée, protégé par l'article 8 de la Convention des droits de l'homme, dont le droit à l'autonomie personnelle et à la liberté sexuelle.

Dans son arrêt, la CEDH souligne qu'elle est "pleinement consciente des difficultés et risques – indéniables – auxquels les personnes prostituées sont exposées dans l'exercice de leur activité", dont les risques pour leur santé et leur sécurité.

Elle indique toutefois que ces "phénomènes étaient déjà présents et observés avant l'adoption de la loi" de 2016, "les mêmes effets négatifs ayant par le passé été attribués à l'introduction du délit de racolage dans le droit français".

"Il n'y a pas d'unanimité sur la question de savoir si les effets négatifs décrits par les requérants ont pour cause directe la mesure que constitue la pénalisation de l'achat d'actes sexuels, ou de leur vente, ou sont inhérents et intrinsèques au phénomène prostitutionnel en tant que tel ou qu'ils seraient le résultat de tout un ensemble de facteurs sociaux et de pratiques comportementales", indique la Cour.

Estimant que "les autorités françaises ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu" et n'ont "pas outrepassé (leur) marge d'appréciation", la CEDH a jugé qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 8.

Médecins du Monde a dit envisager de faire appel auprès de la Grande chambre, l'instance suprême de la CEDH.

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