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"J'ai crié le nom de mon ami cinq, six fois, il n'a pas répondu". Quarante-huit heures après un naufrage dans la Manche qui a coûté la vie à huit migrants, Khames ignore toujours si son ami d'enfance, perdu de vue au coeur de la nuit, figure parmi les victimes.
Lundi après-midi, Khames, un Egyptien de 31 ans est venu à Calais assister à une cérémonie en mémoire des huit personnes décédées dans ce drame, qui s'est noué au niveau d'Ambleteuse (Pas-de-Calais) dans la nuit de samedi à dimanche.
Parmi ces huit victimes figure peut-être l'ami que Khames a retrouvé il y a un mois en Italie, d'où ils ont pris un bus pour la France avec le rêve de rejoindre l'Angleterre. Un ami qui vient "de la même ville, du même quartier, de la même rue" que lui, souligne-t-il.
"Juste avant qu'on embarque sur le bateau, juste une minute avant, (...) il était sur la plage. C'est la dernière fois que je l'ai vu", se souvient ce jeune homme aux cheveux courts soigneusement coiffés, qui ne souhaite pas donner son nom pour ne pas alerter la famille de son ami avant d'avoir une certitude.
Il est alors bientôt minuit. Les conditions météorologiques s'annoncent favorables.
Très vite, Khames comprend que le bateau, un frêle semi-rigide, est trop petit. Cinquante-neuf personnes monteront à bord, selon la préfecture.
D'une traite, la voix blanche et le regard dans le vague, il décrit: "Les gens ont commencé à se piétiner, à crier. De l'eau a commencé à entrer dans le bateau, on a fait demi-tour".
"Cauchemar"
Parti depuis "le secteur de la Slack", fleuve côtier dont l'embouchure se situe entre Wimereux et Ambleteuse, le bateau est "venu s'échouer" sur une pointe rocheuse et "s'est manifestement déchiré sur les rochers", a reconstitué dimanche le préfet Jacques Billant.
L'embarcation échouée, "chacun a commencé à chercher son ami, son fils, son frère, son proche". Dans la nuit sombre, "personne n'arrivait à communiquer. J'ai crié le nom de mon ami cinq, six fois, il n'a pas répondu", se souvient Khames.
Il ne voit pas les corps traînés sur la plage par des rescapés, qu'une Soudanaise observe à la lumière de son téléphone. Les ayant vus ensemble sur un campement, elle assure à Khames avoir reconnu son ami parmi les morts.
Depuis, le jeune homme vit "un cauchemar". Il voudrait identifier le corps de son ami pour être fixé mais n'y est pas autorisé en raison de l'absence de lien de parenté. "Il n'a personne d'autre ici", s'émeut-il.
Son dernier espoir réside dans les dix blessés pris en charge par les secours. "J'espère qu'il est parmi eux", dit-il sans trop y croire.
Devant ce drame, Khames a renoncé à traverser la Manche. "C'était ma première tentative et la dernière".
Il compte demander l'asile en France. S'il lui est refusé, il assure qu'il acceptera d'être renvoyé en Italie, par où il est entré dans l'Union européenne.
Au moins 46 personnes sont décédées en tentant de rejoindre l'Angleterre en bateau depuis la France en 2024, année la plus meurtrière dans la Manche.
"On n'a plus les mots, on est bouleversés par ce qui se passe", lâche Feyrouz Lajili, coordinatrice de Médecins sans frontières à Calais.
Pour Adrien Delaby, délégué général de l'Auberge des migrants, "la pire chose, ce serait qu'on les oublie".