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A Bourges, la poussière s'accumule à l'Hôtel Dieu, fermé depuis les années 90. Mais le somptueux édifice gothique va rouvrir ses portes grâce au titre de capitale européenne de la culture 2028, arraché par cette ville enclavée qui mise sur l'Europe pour se relancer.
A l'approche des élections européennes, l'AFP a choisi la préfecture du Cher pour entamer un périple sur les routes de France. De Bourges à Strasbourg, à la rencontre des citoyens et des thématiques du scrutin du 9 juin.
Au bord de l'A71, cette ville périphérique perd encore des habitants et a longtemps vu ses emplois se détruire au rythme de la désindustrialisation, avant de rebondir grâce aux enjeux européens.
Pour "réveiller la belle endormie", le maire divers gauche Yann Galut a fait le "pari de la culture", revendique-t-il, dans le sillage du rendez-vous musical annuel du Printemps de Bourges. En décembre dernier, le "Petit Poucet" de 64.000 âmes a décroché à la surprise générale le titre de capitale européenne 2028, devant Montpellier, Rouen ou Clermont-Ferrand.
- Bardella, seul nom connu -
"C'est bien, ça va rebooster la popularité de Bourges, qui n'est pas ultra +hype+", glisse Cornélia Daumé, une institutrice rencontrée un dimanche soir dans un des rares bistrots ouverts.
Future capitale de la culture et site d'entreprises d'armements qui produisent missiles et obus pour l'Ukraine, Bourges est-elle pour autant mobilisée pour le scrutin européen ?
C'est incertain, à entendre le maire, à qui "personne ne parle des européennes sur le marché à ce stade". Dans une ville "modérée" où Emmanuel Macron a fait mieux que son score national au second tour de la présidentielle 2022, et Marine Le Pen nettement moins bien.
S'ils sont bien inscrits sur les listes électorales, les instituteurs Cornélia Daumé et Florian Desjardin se verraient plutôt voter "écolo", même s'ils ne "connaissent absolument pas" le nom de la tête de liste Marie Toussaint.
Comme eux, la plupart des Berruyers interrogés n'ont identifié nommément qu'un candidat, Jordan Bardella, dont la liste Rassemblement national (RN) caracole dans les sondages.
Le restaurateur Johan Pezet, qui avait voté Macron à la présidentielle, n'a quant à lui pas prévu de se déplacer cette fois. "Je ne vois pas l'intérêt. Qu'on se concentre sur notre pays déjà. Et l'Europe, on voit après".
C'est pourtant l'Europe qui accapare une partie de la ville.
A la baguette côté culturel, le commissaire général de Bourges 2028 Pascal Keiser, aux idées aussi fourmillantes que ses cheveux en bataille. Mère italienne, papa luxembourgeois et passeport belge, le grand échalas de 56 ans est une petite Europe à lui tout seul et déambule dans le joli centre historique aux allures de ville fantôme au creux d'un lundi après-midi.
L'ancien hôpital de l'Hôtel Dieu deviendra une "cité européenne des artistes", incubateur d'une série de projets. Et la Halle au Blé, où se tient le marché dominical, un vaste lieu d'expositions d'art contemporain.
"Bourges est dans une région enclavée, loin des réseaux européens. C'était compliqué de parler d'Europe", raconte-t-il en insistant sur les retombées économiques des deux millions de visiteurs espérés dans quatre ans.
Dans les rues, le projet de 45 millions d'euros, principalement financé par l'Etat et les collectivités, séduit et interroge. Devant son restaurant, Johan Pezet attend de voir la "fin des travaux" et si les "capacités hôtelières" seront au rendez-vous.
- "Economie de guerre" -
"C'est chouette" pour une ville "un peu paumée au milieu de la France", trouve un autre habitant. Ce trentenaire, qui préfère taire son nom, est cadre chez MBDA, producteur de missiles antiaériens Aster dont les commandes ne cessent de croître en pleine guerre en Ukraine.
Car la ville du Berry est depuis Napoléon III un centre névralgique de l'armement français, aujourd'hui au coeur de l'"économie de guerre" voulue par Emmanuel Macron pour aider Kiev à se défendre contre l'invasion russe.
Au début des années 2000, MBDA hésitait à fermer un de ses sites de Bourges. Aujourd'hui, elle recrute à tout-va, comme l'entreprise Nexter (KNDS) qui produit les canons Caesar et qui y est également implantée. L'industrie de défense est de loin le premier employeur de l'agglomération.
Jusqu'où l'Europe devra-t-elle soutenir l'Ukraine ? La question est posée à tous les candidats au scrutin du 9 juin et s'immisce parmi les préoccupations des Français.
Avec les livraisons à l'Ukraine, les salariés de l'armement voient l'image de leur métier davantage valorisée. "On est un peu mieux compris. La question, +pourquoi tu travailles dans une entreprise de défense?+, je ne l'ai plus", témoigne le cadre.