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De la campagne des européennes où il est entré à reculons, au dossier calédonien qui échappe en partie à Matignon, le tout dans l'ombre d'un président omniprésent, Gabriel Attal peine à occuper son espace à la tête du gouvernement.
Le Premier ministre n'a plus vraiment la main sur la Nouvelle-Calédonie, historiquement gérée pourtant depuis la rue de Varenne, mais pilotée depuis 2020 et le départ d'Edouard Philippe par le ministère de l'Intérieur et des Outremer, sous la tutelle de l'Élysée.
Certes depuis le retour des violences cette semaine dans l'archipel, Gabriel Attal coordonne la crise en cellule "interministérielle".
Mais difficile pour lui d'entrer de plain-pied dans ce dossier si complexe et éruptif, même si trois de ses prédécesseurs - Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Edouard Philippe - l'avaient pressé début mai, avant l'explosion, de monter au front.
"Le pilotage par le Premier ministre est considéré par les différentes parties comme une garantie", car c'est un "plus haut niveau" que l'Intérieur et il a une "dimension interministérielle", ce qui permet d'aborder l'ensemble des questions, y compris économiques et sociales, explique Jean-Marc Ayrault.
Gabriel Attal apporte "une neutralité et une virginité" dans un dossier où "il faut prendre le temps de dialoguer" comme il l'a fait sur d'autres sujets, plaide un conseiller de l'exécutif.
- Interventionnisme -
En 1988, quand Michel Rocard forge avec les parties calédoniennes les Accords de Matignon, il a effectivement "le temps pour lui et l'espace politique" permis par le président François Mitterrand pour mener les négociations, relève l'historien Jean Garrigues.
Mais pour un Gabriel Attal nommé en janvier, "la fenêtre de tir est très étroite" du fait du délai fixé par Emmanuel Macron à fin juin pour valider la réforme électorale contestée, note l'auteur de "Elysée contre Matignon, de 1958 à nos jours", paru en 2022 (éditions Tallandier).
L'ombre tutélaire du président est aussi toujours là. Emmanuel Macron a chargé son Premier ministre d'inviter les parties prenantes pour relancer le dialogue... tout en conviant personnellement, en vain, les forces politiques locales à une visioconférence.
Emmanuel Macron "veut toujours être en contrôle" et "présidentialiser tous les sujets, tous les problèmes", relève M. Garrigues qui date cet interventionnisme de Nicolas Sarkozy, quand il réduit son Premier ministre François Fillon au rang de "collaborateur".
Illustration encore avec les élections européennes: le chef de l'Etat a demandé à Gabriel Attal de débattre avec la tête de liste du Rassemblement national Jordan Bardella. Mais quand la date du 23 mai est annoncée, des proches du président laissent filtrer dans la presse qu'il pourrait, lui-même, être tenté par un face-à-face avec Marine Le Pen.
- "Coût politique énorme" -
Entravé en outre dans son action par une majorité relative à l'Assemblée nationale, Gabriel Attal a-t-il vraiment envie de s'impliquer ?
Il est entré dans la campagne des européennes sur la pointe de pieds, sans mentionner l'Europe à la foire aux bulots de Pirou (Manche), où il a multiplié les selfies. Est-il en campagne pour lui-même ? "Je suis Premier ministre et le cœur de ma mission, c'est de répondre aux préoccupations des Français", dit-il.
Gabriel Attal est en fait "plus que jamais" candidat à la présidentielle de 2027, estime un ministre, relevant que "toutes les catégories de population sont contentes de le voir".
L'Elysée s'agace alors, et en déplacement à Beaugency (Loiret), il change de braquet: "Ce qui se joue le 9 juin est absolument majeur", lance-t-il.
Mais avec des sondages qui donnent l'extrême droite largement victorieuse, il ne souhaite peut-être pas payer le "coût politique énorme" d'une défaite en s'exposant largement, avance un député de la majorité.
Un ténor de la majorité se désespère, lui, de l'affaiblissement supposé de Matignon, consacré par la nomination de M. Attal.
"Il va faire un bon débat contre Bardella". Mais pour le reste, "on ne peut pas exercer ces fonctions sans expérience", considère-t-il.
Acide, un proche du président résume: "Il donne des gages sur ce que le président lui demande, pour le reste il s'occupe de lui, de son image".