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Reflétant les dorures du Monastère Saint-Michel de Kiev, un cercueil en acajou, surmonté d'une casquette de colonel de l'armée de l'air, est entouré d'hommes et de femmes pleurant Valentin Korentchouk. Un fantôme. Ou plutôt le Fantôme de Kiev.
Enterré mardi, le lieutenant-colonel Korentchouk, surnommé "Bdjoliar", l'Apiculteur, était pilote d'avion de chasse MiG-29, un modèle soviétique encore utilisé par son unité, la 40e brigade d'aviation tactique.
"Notre meilleur pilote a été tué en mission de combat", a déploré lundi le porte-parole de l'armée de l'air dans un communiqué.
Engagé "dès le premier jour de l'invasion", le pilote avait abattu "une douzaine de cibles", dont un bombardier russe, selon cette source. Cette renommée avait fait "surgir le mythe du Fantôme de Kiev".
Alors que le cercueil quitte le faste du monastère pour se rendre sur la place Maïdan par les rues de la capitale plongées dans le silence, les badauds posent genou à terre, certains le visage couvert de larmes.
Beaucoup dans le cortège portent au bras un écusson sur lequel se dessine un crâne blanc sur fond noir, avec "Fantôme de Kiev" écrit en capitales.
- Pilote de légende mais anonyme -
Les premiers jours de l'offensive russe contre l'Ukraine, le 24 février 2022, les réseaux sociaux voient émerger les exploits du "Fantôme de Kiev", un as qui aurait abattu six avions russes.
Des vidéos inondent alors les réseaux sociaux montrant des combats aériens prêtés à ce pilote anonyme.
Le 25 février 2022, une publication devient virale, montrant un aéronef en abattant un autre avant de faire un tonneau de célébration.
La vidéo sera vite démystifiée par plusieurs médias comme étant tirée d'un jeu vidéo.
Le compte officiel Twitter de l'Ukraine reprend pourtant la publication deux jours plus tard et la légende : "on l'appelle le Fantôme de Kiev. Cet as de l'Air-Force ukrainienne qui domine le ciel de notre capitale et de notre pays est déjà devenu un cauchemar pour les avions d'invasion russes."
Aussitôt les réseaux sociaux tentent de trouver l'identité de ce nouveau symbole de la résistance ukrainienne.
Le costume fut un temps prêté à Viatcheslav Ierko, lieutenant-colonel de la 40e brigade d'aviation tactique, qui meurt au combat le jour de l'invasion, et sera décoré, trois mois plus tard, du titre de Héros de l'Ukraine.
C'est ensuite le major Stepan Tarabalka, de la même unité, à qui on attribuera le drap du fameux Fantôme.
Mais après sa mort le 13 mars 2022, et l'engouement suscité par la recherche du super-héros, l'armée décide de contredire l'information.
L'as du ciel ukrainien n'a, en réalité, jamais existé.
- "On est tous des fantômes de Kiev" -
"Le Fantôme de Kiev est une légende créée par les ukrainiens", explique l'armée le 30 avril 2022, soulignant qu'il s'agit "d'une image collective des pilotes de la 40e brigade d'aviation tactique", exhortant les Ukrainiens à "vérifier les sources d'informations avant de les diffuser".
Mais, pour Andriï, présent lors des funérailles, le Fantôme a vraiment existé. Ce trentenaire au crâne rasé et sourire juvénile était un proche de Valentin. Il avait suivi, comme beaucoup d'autre, une formation dispensée par le pilote.
Aujourd'hui commandant d'une batterie anti-missile, il a du mal à retenir ses larmes quand il parle de son ami. "Les vrais Fantômes de Kiev existent, c'était Viatcheslav Ierko et Valentin. Avec leurs vieux MiG, ils ont abattu des dizaines de cibles, ce qui est rare, surtout avec de tels appareils".
Dans un sourire, il se rappelle de la genèse du Fantôme du ciel : "la propagande russe n'arrêtait pas de dire que l'aviation ukrainienne avait été entièrement détruite, on s'est dit, du coup, qui continue de les abattre ? Un revenant ?"
"Le Fantôme est devenu, aujourd'hui, une sorte d'esprit protecteur pour les jeunes pilotes", explique Andriï.
Il pointe du doigt l'image de crâne collée à son épaule. "C'est une fierté de porter cet écusson" explique-t-il, ému, "maintenant, on est tous des Fantômes de Kiev".