Partager:
Avec les quatre balles tirées la semaine passée sur le Premier ministre Robert Fico en Slovaquie, les choses sont allées de mal en pis pour Matus Kostolny, rédacteur en chef de Dennik N, quotidien indépendant qualifié d'"hostile" par le gouvernement.
Les menaces venues de lecteurs et les accusations d'alliés politiques de M. Fico ont immédiatement commencé à pleuvoir, raconte M. Kostolny, 49 ans.
"Dix minutes après notre article sur les tirs contre le Premier ministre, j'ai commencé à recevoir des messages assurant que j'étais responsable, que j'avais du sang sur les mains et que j'allais payer pour cela", confie-t-il à l'AFP.
"Dès le premier jour des politiciens de la coalition au pouvoir ont déclaré que (...) certains médias y compris Dennik N portaient la responsabilité de l'attentat", explique-t-il.
La révélation par des médias slovaques en 2018 de liens entre le gouvernement de M. Fico et la mafia italienne avait déclenché un tollé menant à sa démission.
M. Fico est hospitalisé depuis qu'un tireur isolé a ouvert mercredi le feu sur lui, l'atteignant de plusieurs balles, notamment à l'abdomen. Après deux longues opérations, sa vie n'est plus en danger mais il reste dans un état grave.
M. Fico, 59 ans, remplit son quatrième mandat de Premier ministre, à la tête d'une coalition de deux partis centristes et d'un parti nationaliste plus petit.
- "Médias hostiles" -
Son parti centriste, le Smer-SD, avait remporté les élections législatives en septembre, prônant des propositions de paix entre la Russie et l'Ukraine voisine ainsi que d'arrêt de l'aide militaire à Kiev, mises en oeuvre par la suite.
La tentative d'assassinat a profondément choqué la Slovaquie, pays de 5,4 millions d'habitants membre de l'Union européenne et de l'Otan, fortement divisé sur le plan politique depuis des années.
Peu après sa victoire électorale, il a interdit d'entrée quatre médias slovaques --Dennik N, Aktuality, SME et la télévision Markiza-- dans le bâtiment du gouvernement, les taxant de "médias hostiles" et d'"invités indésirables".
"Nous avons obtenu l'étiquette de média hostile en existant et en faisant le genre de journalisme que nous faisons, en posant des questions sans flatteries et en publiant des textes critiques", dit M. Kostolny.
"Les politiciens n'aiment pas ça, pas seulement Robert Fico (...) qui nous a de fait agressés dès notre création".
Le gouvernement de M. Fico veut également faire adopter un projet de loi controversé sur la radio et la télévision publiques RTVS que le pouvoir en place accuse de manquer d'objectivité.
En tant qu'organe indépendant, Dennik N tire actuellement l'essentiel de son chiffre d'affaires de ses lecteurs, sans financement de l'Etat, souligne M. Kostolny.
- Double meurtre -
Le journal a été fondé en 2014 par un groupe de journalistes. Quatre ans plus tard, la Slovaquie était bouleversée par les meurtres du journaliste d'investigation Jan Kuciak et de sa fiancée, Martina Kusnirova, tous deux âgés de 27 ans.
Le riche homme d’affaires slovaque Marian Kocner, accusé d'avoir commandité les meurtres, a été acquitté en mai 2023.
Dans un article publié après sa mort, Kuciak révélait des liens entre la mafia italienne et le gouvernement de M. Fico. Ce dernier a dû démissionner après les plus grandes manifestations depuis la chute du communisme.
"Le meurtre de Jan Kuciak a été le point de rupture. A l'époque, la société s'est divisée entre eux et nous", observe M. Kostolny.
Il estime que M. Fico a dû se montrer plus pragmatique, essayant d'éviter la prison et constamment pourchassé par des médias en quête du mobile du meurtre de Jan Kuciak.
"Il avait besoin de remporter les élections (de 2023, ndlr) et de revenir pour sauver sa liberté", dit-il.
M. Fico s'est tourné vers les extrêmes, adoptant un langage plus fort pour attirer des électeurs hors de l'électorat habituel de son parti Smer-SD.
Son attitude inflexible envers les journalistes est illustrée par le classement 2024 de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières (RSF) où la Slovaquie a perdu 12 places pour se classer 29ème. Les auteurs du rapport reprochent à M. Fico, comme à son homologue hongrois Viktor Orban, de chercher à réduire l'espace du journalisme indépendant.
L'attentat de mercredi a encore empiré les choses, selon M. Kostolny qui s'attend dorénavant à des ingérences politiques dans le travail journalistique.
Le ministre de la Défense et plus proche allié de M. Fico, Robert Kalinak, a déclaré que les "mensonges" des médias étaient la raison pour laquelle M. Fico se battait actuellement pour la vie.
"Actuellement, l'atmosphère est tellement enflammée", relève M. Kostolny. "Ils pointent du doigt les journalistes, en particulier ceux de Dennik N, pour les accuser d'être en partie responsables de l'attentat".
"C'est extrêmement dangereux parce qu'une fois que vous commencez à traiter les problèmes en utilisant la violence, vous ne pouvez pas être certain que cela ne continuera pas".
Père de deux enfants, M. Kostolny dit qu'il "mentirait" s'il disait ne pas avoir peur.
"Je ne suis pas sûre de ce pourquoi nous sommes là. Durant les six années qui ont suivi le meurtre de Jan Kuciak, nous avons vu ce que Fico est capable de faire", assure-t-il. "D'un autre côté, je suis totalement déterminé à poursuivre le service que nous fournissons. Je ne peux pas être effrayé juste parce qu'ils nous attaquent".