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Sous une chaleur torride, une soixantaine d'exilés languissent dans la zone tampon de Chypre séparant l'île divisée, piégés dans ce no man's land par la détermination des autorités de Nicosie à lutter contre l'afflux de migrants en provenance de Turquie.
Ils étaient une trentaine en juin, ils sont désormais 59, selon le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU, qui pourvoit à leurs besoins de base.
Le camp est situé dans la banlieue de Nicosie, tout près d'un des points de contrôle permettant de passer de la partie sud, où la République de Chypre - seule reconnue internationalement et membre de l'UE - exerce son autorité, au nord, sous contrôle de la République Turque de Chypre Nord (RTCN), autoproclamée et reconnue uniquement par la Turquie.
Assis sur une chaise en plastique à l'ombre des arbres, Hussein Zare explique avoir fui son pays, l'Iran, avec sa femme et sa fille, dans l'espoir de rentrer dans l'Union européenne et entamer une nouvelle vie en France.
La famille s'envole en mai, d'abord pour Istanbul puis la RTCN. Mais ils sont arrêtés lorsqu'ils tentent de gagner la sud en traversant la zone tampon contrôlée par la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP).
"La police nous a amenés ici (...) et nous a bloqués dans cette zone", relate-t-il.
- "Conditions désastreuses" -
Le couloir de démarcation, aussi dit "ligne verte", traverse l'île du nord-ouest au sud-est, passant par Nicosie, dernière capitale divisée au monde.
Si officiellement, l'ensemble de Chypre est un territoire de l'UE, Bruxelles a suspendu l'application de la législation européenne dans la partie nord.
Et Chypre accuse la Turquie de fermer les yeux sur les passages migratoires irréguliers via la RTCN. Le gouvernement chypriote a renforcé la sécurité le long de la zone tampon, affirmant être en "première ligne" sur la route des migrants en Méditerranée.
Selon Nicosie, les demandeurs d'asile représentent plus de 5% des 915.000 habitants de la République chypriote.
Avec d'autres compagnons d'infortune, et le soutien du HCR, M. Zare a engagé un avocat pour demander l'asile auprès des autorités chypriotes. Mais, jusqu'à présent, "nous n'avons pas pu obtenir de réponse", dit-il
Après avoir visité le camp, le haut-commissaire britannique à Chypre, Irfan Siddiq, y a déploré vendredi sur X les "conditions désastreuses" de vie, plaidant pour une "solution urgente".
- Nicosie renvoie la balle à la Turquie -
Mudassir, un Afghan de 34 ans qui ne veut pas donner son nom, affirme avoir fui le régime des talibans par peur pour sa vie, car son père travaillait pour l'ambassade américaine.
Il croyait que se rendre en RTCN le ferait entrer dans l'UE.
A leur sortie de la zone tampon de nuit, lui et des compatriotes demandent l'asile à la police chypriote, raconte-t-il. Mais cette dernière refuse d'enregistrer leurs cas, et les conduit au camp.
"Nous nous sentons désespérés", se désole-t-il. "Il y a beaucoup de serpents. Il y a des enfants et des femmes et c'est très difficile pour eux".
Lawrence, un Nigérian de 23 ans qui refuse également de donner son nom de famille, est venu dans le nord de Chypre avec un visa d'étudiant, dans l'espoir, dit-il, d'échapper aux persécutions anti-LGBTQ dans son pays.
"Mon rêve était de terminer l'université et d'avoir une vie normale... n'importe où", affirme-t-il.
Lui aussi a été arrêté par la police chypriote, le 20 juillet, avec d'autres candidats à l'asile. "Nous étions pétrifiés", dit-il.
Mi-juin, l'ONU a exhorté Chypre à autoriser ces exilés à demander l'asile.
Ils ont "besoin d'accéder aux procédures d'asile prévues par les lois nationales, européennes et internationales", a abondé l'UNFICYP.
Mais Chypre campe sur son refus: "notre décision de ne pas accepter ces personnes est dictée par la nécessité de veiller à ce que la Ligne verte ne devienne pas un passage pour les migrants", a répondu dans un communiqué, le ministère chypriote des Migrations et de la Protection internationale.
"Étant donné que ces personnes ont traversé la Turquie pour se rendre dans les zones occupées (nord de Chypre), il incombe à la Turquie de leur donner accès aux procédures d'asile", a-t-il ajouté.