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Pas de salaires ou pas de retraites, des hôpitaux ou des écoles aux caisses vides... Depuis l'interdiction en février du dinar serbe au Kosovo, dont la monnaie officielle est l'euro, les établissements financés par Belgrade sont à sec. Mais la vie s'organise, entre débrouille et fatalisme, pour la minorité serbe.
Pendant que les réunions sans lendemain se multiplient à Bruxelles, à Mitrovica, ville du Kosovo dont le nord est peuplé de Serbes et le sud d'Albanais, Momcilo Adzic, 65 ans, raconte comment les Serbes du Kosovo comme lui s'organisent pour aller percevoir leurs retraites de l'autre coté de la frontière avec la Serbie, située à une soixantaine de km au nord.
"Les deux dernières banques serbes ont dû quitter le Kosovo", explique-t-il à l'AFP. Pour retirer sa retraite, qui est en dinars, une seule solution: "aller jusqu'à Raska, en Serbie", à une heure de route. Il lui faudra ensuite changer la somme en euros pour pouvoir la dépenser au Kosovo.
Un système D fatiguant, explique Vera, agricultrice à Zerovnica, à l'ouest du Kosovo. "Pour être honnête, j’en ai marre de cette vie. Nous n'avons aucune confiance dans l’euro, nous vivons dans la peur". La plupart des personnes interrogées préfèrent ne pas donner leurs noms de famille.
En annonçant la mesure, début février, le Premier ministre kosovar Albin Kurti avait bien tenté de rassurer les Serbes.
"La seule différence c'est que depuis le 1er février, l'argent ne peut plus traverser la frontière dans des sacs", avait-il dit, estimant que la façon dont la Serbie faisait passer des dinars avant cela "permettait à des groupes criminels de recevoir illégalement de l'argent".
Mais aucun accord n'a été trouvé entre Belgrade et Pristina pour que la Serbie puisse verser, via des établissements bancaires du Kosovo, les salaires, retraites et bourses aux employés ou ex-employés des structures financées par Belgrade.
Ce système parallèle d'écoles, hopitaux etc. n'a donc plus un sou. La Serbie est le principal employeur dans les zones serbes du Kosovo.
"Ce n'est pas qu'une question de salaire. C'est une question de médicaments, de matériel médical, de nourriture, de fonds pour entretenir nos salles d'opération...", a renchéri Danica Radomirovic, numéro deux de l’hôpital de Mitrovica nord dans la presse locale.
En attendant, les responsables invitent leurs employés à se rendre en Serbie pour percevoir leur salaire et eux mêmes font régulièrement le voyage pour retirer de quoi payer les charges, ou acheter des équipements.
Sur les murs de Gracanica, à quelques kilomètres du centre de Pristina des affiches fleurissent: "10 euros A/R pour aller retirer des dinars à Kursumlija", en Serbie.
- "De pire en pire" -
Dans les zones serbes, rares sont ceux qui acceptent de parler à des journalistes.
"Tout le monde se plaint. Tout le monde. La situation est mauvaise, et tout devient de pire en pire", déplore Mihajlo Jovanovic, chauffeur à la retraite de 73 ans. "Pour les Albanais, l'interdiction du dinar, c'est une victoire. Leur but? Expulser les Serbes", estime-t-il.
"D'une certaine façon, la Serbie perd sa souveraineté sur le Kosovo", analyse de son côté Dejan Popovic, un technicien de 49 ans.
Le président du plus important parti politique serbe du Kosovo, Zlatan Elek, affirme régulièrement que "l'interdiction du dinar est synonyme d'expulsion des Serbes et de toutes les institutions serbes du Kosovo".
Parmi la population serbe du Kosovo - estimée à environ 100.000 personnes, la peur se mêle à la lassitude. Le Kosovo affiche environ 1,5 million d'habitants.
"Ce sera aux responsables de décider, et nous accepterons" leur décision, explique Milijana, une coiffeuse de Mitrovica. En attendant, depuis l'interdiction des dinars, elle continue à recevoir des paiements dans les deux monnaies.
"Ce n'est pas grave s'ils me payent en dinars ou en euros", explique aussi Sanja Milatovica, une femme de ménage de 58 ans, "l'important c'est qu'ils me payent!"
Depuis son village de Laplje Selo, près de Gracanica, elle "se promène" chaque mois jusqu'en Serbie, où elle retire des dinars qu'elle change immédiatement en euros.
Quand on lui demande si elle pense pouvoir un jour à nouveau payer en dinars, Sanja Milatoviv soupire: "ce qui est pris n'est jamais rendu".