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Malgré la pluie qui balaye les allées du grand marché de Balogun à Lagos, la capitale économique du Nigeria, Ajoke prend son temps pour choisir le tissu d'Adire qu'elle souhaite offrir à l'une de ses amies.
Ce textile populaire teint à l'indigo est emblématique de la culture des Yorubas, l'une des principales ethnies du pays.
Pour faire son choix, la jeune femme de 21 ans glisse ses doigts sur différents tissus aux couleurs vives pour distinguer les étoffes traditionnelles nigérianes en coton des contrefaçons en polyester fabriquées en Chine.
"Ce n'est pas cher", lance Ajoke en brandissant un tissu chinois à motifs violets payé 3.300 nairas (environ 2,30 euros), deux fois moins cher qu'un tissu local.
Les contrefaçons d'Adire chinoises sont appréciées par les consommateurs nigérians, mais pénalisent grandement l'industrie du textile des Yorubas au Nigeria.
A 80 kilomètres de Lagos, Somodale Akomo Amosa, 86 ans, présidente depuis 22 ans du grand marché de l'Adire à Abeokuta, dans le sud-ouest du pays, explique avoir assisté, impuissante, à l'arrivée de la concurrence chinoise il y a "une dizaine d'années".
"Ses revenus ont diminué au fil des années. Elle n'a vendu que cinq tissus depuis dix jours", confie l'une de ses filles.
Abeokuta, surnommée "capitale de l'Adire", abrite près de 2.000 marchands et producteurs, selon les données gouvernementales.
- Concurrence et crise économique -
Pour créer les étoffes d'Adire, les producteurs Yorubas utilisent la technique du "Tie and Dye".
Cette méthode consiste à nouer et plier le tissu à la main, avant de le teindre pour créer des dégradés de couleurs et des formes, explique Tunde M. Akinwumi, professeur de design textile africain à la retraite et auteur d'un livre consacré à l'Adire.
Malgré les difficultés, Somodale Akomo Amosa refuse de voir les producteurs nigérians d'Adire utiliser des machines pour réduire les coûts de production, et donc de vente, de leurs tissus comme le font les Chinois.
Cela "nuirait à la tradition et à l'originalité des produits", estime celle qui est l'une des rares marchandes d'Adire à ne pas céder à la tentation chinoise.
En plus de la concurrence chinoise, elle déplore la crise économique qui secoue le pays, et empêche selon elle la population d'avoir assez d'argent pour s'offrir des tissus d'Adire traditionnels.
Cette crise, l'une de ses pires depuis des années au Nigeria, a été aggravée par les réformes économiques du président nigérian Bola Tinubu, au pouvoir depuis un an, qui ont renchéri le coût de la vie.
D'autres commerçants, comme Christiana Morenikeji Ilesanmi, estiment ne pas avoir le choix.
"Nous nous sentons mal, mais ce serait pire si d'autres personnes les vendaient, et pas nous", confesse cette femme de 56 ans qui se fournit chez des grossistes dans la mégalopole de Lagos.
"Tout le monde achète" de l'Adire, "les personnes avec des revenus modestes comme celles qui en ont de plus élevés", ajoute-t-elle assurant vendre plus d'imitations chinoises que de tissus traditionnels nigérians.
- Mobilisation -
Les visiteurs sont également de moins en moins nombreux à passer commande directement au centre principal de production d'Adire d'Abeokuta, situé à quelques minutes à pied du marché, affirme Mme Ogunyinka, productrice d'Adire de 55 ans.
"Avant, les gens venaient nombreux ici pour commander des robes pour des mariages ou de grandes occasions, mais ce n'est plus le cas", déplore-t-elle.
Pour tenter de venir en aide à l'industrie textile de la ville, la présidence nigériane a annoncé en mars dernier l’attribution de 200 magasins à 400 commerçants à des tarifs réduits dans le grand marché d’Adire d’Abeokuta, dans le cadre d’un projet d’aide national aux entreprises.
L'an dernier, Olusegun Obasanjo, ancien chef de l'Etat du Nigeria de 1976 à 1979, puis de 1999 à 2007, avait demandé aux autorités de mettre fin à l'importation des contrefaçons d'Adire chinoise au Nigeria. Mais rien n'a changé depuis.
En 2020, l'Etat fédéral nigérian et le gouvernement de l'Etat d'Ogun ont également lancé un site internet permettant aux marchands de vendre leur Adire "original et haut de gamme" dans l'ensemble du pays mais aussi à l'international.
"La production d'Adire est un héritage familial pour nous, d'autres sont venus l'apprendre de nous, c'est notre métier, c'est mon métier", défend Somodale Akomo Amosa, qui souhaite que ses descendants puissent produire et vendre des étoffes d'Adire le plus longtemps possible.