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Pour la réalisatrice d'"Emmanuelle", l'érotisme post-MeToo est un "champ de liberté"

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JOEL SAGET

Réinventer l'érotisme ? C'est la difficile tâche à laquelle s'est attelée la réalisatrice française Audrey Diwan. Elle raconte à l'AFP comment elle a tourné "Emmanuelle", le film qui fait l'ouverture vendredi du Festival de Saint-Sébastien (20-28 septembre) en Espagne, avant de sortir en salles en France mercredi.

Cette toute nouvelle version suit la quête érotique d'une femme, cadre sup' dans un groupe hôtelier de luxe, interprétée par Noémie Merlant, cinquante ans après l'immense succès du film éponyme avec Sylvia Kristel.

Question : "Emmanuelle" n'est ni le remake du film de Just Jaeckin, ni une adaptation littérale du livre ?

Réponse : "Je n'avais pas l'impression de m'emparer du livre, et encore moins du film. J'ai commencé à réfléchir à cette femme qui n'a plus de plaisir. Qu'est-ce qui fait qu'on peut être déconnecté de son corps et de son plaisir aujourd'hui ? Ce qui fait que cette société nous donne trop d'injonctions, qu'il faut jouir, être dans la performance, répondre à un certain nombre de codes et de diktats qu'on dit être la beauté... Ce qui fait qu'au bout d'un moment, le corps devient comme une armure, une prison, et qu'est-ce qui fait que cette armure va tomber ? (...) J'ai dit à mes producteurs : +si je ne m'inscris ni en pour, ni en contre de ce film, est-ce que vous me laissez m'emparer de ce prénom ?+ Ils m'ont dit : +Prends ce prénom comme un vaisseau.+ Et c'était le début de notre route."

Q : Comment avez-vous appréhendé cette question du plaisir, de l'orgasme féminin, et de sa représentation, sur laquelle le cinéma est rempli de clichés ?

R : "Le film pose en creux la question de la simulation. (...) On fait un film, et donc on veut produire du vrai, mais en même temps c'est du jeu. On avait une grosse pression à l'idée de cette représentation, et on a passé une nuit à en chercher la note juste. Il y a un moment où, peut-être parce qu'on était épuisé, on a lâché prise. C'est dans ce relâchement du corps et des attentes que quelque chose qui nous a semblé juste est né. On voulait contrôler ce qui se passait alors qu'il fallait faire l'inverse, il fallait arrêter de se regarder."

Q : Quelle place peut avoir l'érotisme au cinéma aujourd'hui ?

R : "J'ai entendu beaucoup de choses sur #MeToo, la manière d'envisager notre métier et sur le plaisir. Ce qu'on pouvait faire ou ne plus faire. Mais #MeToo crée de la liberté. Le fait de tellement parler de sexualité avant le film, au lieu de garder le secret pour (créer) un moment de gêne et prendre quelque chose à l'acteur, ou bien de se débarrasser un peu vite fait d'une scène dont on ne sait pas trop quoi faire...

L'acteur a le pouvoir sur le plateau. La puissance de Noémie Merlant, la liberté qu'elle a et la manière dont elle s'empare elle-même de cette liberté, c'est moteur dans le film. Sur le plateau, il y avait une scène de masturbation et un moment où je me dis : peut-être qu'on est allé au bout, j'hésite à couper. Et puis je vois Noémie repartir, prise d'une intuition. Elle commence à jouer avec des glaçons, rien n'est prévu mais elle cherche les sensations du personnage (...) Et je vois une part du film qui s'écrit sous mes yeux.

Un acteur qui concentre le pouvoir entre ses mains peut aller très loin, comme on n'essaye pas de lui prendre son intimité mais qu'au contraire on encourage le jeu aussi loin qu'il a envie d'explorer. Quelque chose s'ouvre qui est un champ de liberté qu'on aperçoit à peine."

Q : Malgré votre Lion d'or en 2021 pour "L'Evénement", "Emmanuelle" a été difficile à monter...

R : "On m'a dit : parler du plaisir de la femme, d'accord, mais d'une femme sans plaisir, tu nous en demandes trop ! Il aurait fallu que le plaisir de la femme soit vecteur de plaisir tout court. C'est encore assez problématique. Si ça a écarté beaucoup de personnes, ça nous a permis aussi de structurer quelque chose de très fort avec ceux qui avaient envie de soutenir de façon indéfectible ce film et ce qu'il raconte."

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