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Même force, même colère: vingt-cinq ans après la parution de "L'Inceste", Christine Angot passe derrière la caméra pour une quête impossible, faire reconnaître aux membres de sa famille que son père l'a violée.
Premier film réalisé par l'autrice, présenté dans une section parallèle de la Berlinale, "Une famille" sortira dans les salles françaises le 20 mars.
Christine Angot, pour qui la littérature a toujours été un sport de combat, décide de changer les armes. C'est caméra au poing, et pied dans la porte, qu'elle décide de poursuivre son oeuvre, à l'occasion d'une tournée de promotion de son livre "Le Voyage dans l'Est".
Alors qu'elle doit passer par Strasbourg, lui vient l'idée d'aller sonner à la porte de la demeure où vit la veuve de son père. "Je me suis dit que ce serait bien qu'il y ait une caméra, comme ça sans y penser", a-t-elle raconté à l'AFP à Berlin.
"Une caméra, c'est un objet qui peut enregistrer, c'est une preuve. Normalement, vous êtes toujours tout seul, c'est très compliqué. Là, il y a la caméra et aussi la personne qui la tient qui voit la même chose que vous".
Celle qui a été tant vilipendée par la critique, moquée pour ses obsessions, ajoute donc au poids des mots, le choc des images, ceux des visages de ses proches, le père de sa fille, sa propre mère, qu'elle confronte à son histoire.
Dans ce film, "on voit les choses, on les entend surtout. On a rarement entendu la parole qu'on entend là. Pas ma parole, mais celle des gens qui défendent le territoire dont ils ont hérité, celui de l'homme fort, ceux dont la respectabilité est toute entière construite autour de l'homme puissant et cultivé de la famille. On ne renonce pas à ça comme ça", déroule-t-elle.
- Réponse "avant de mourir" -
La séquence la plus forte est l'irruption de Christine Angot chez cette veuve, qui refuse d'abord de la recevoir.
"Au moment de sonner à la porte, j'ai peur qu'on me fasse du mal encore, qu'on m'empêche de rentrer, encore une fois qu'on m'empêche de dire ce que j'ai à dire, de poser les questions". Mais "je suis dans une nécessité, une fois avant de mourir, d'entendre ce qu'ils ont à dire", se rappelle-t-elle.
La porte s'entrouvre, Christine Angot force le passage, les invectives fusent. Puis, de façon inattendue, un dialogue, refusé depuis des décennies par cette femme, semble possible.
"Je n'aurais jamais pu sonner s'il n'y avait pas eu la caméra... Je pensais filmer le ciel, les maisons, la rue... Il y a eu tellement de refus, la porte a tellement toujours été fermée, à partir du moment où j'ai commencé à écrire", retrace-t-elle. "La porte fermée, ne l'oublions pas, c'est aussi celle derrière laquelle ces viols incestueux se commettent. Il faut ouvrir cette porte."
À la fin de l'entrevue, "je souris, comme une idiote", pensant avoir, malgré tout, fait œuvre utile, regrette Christine Angot.
Jusqu'à ce qu'on la voie recevoir, peu après, une plainte pour "violation de domicile" et "atteinte à la vie privée". Ce qu'elle vit comme un coup de couteau dans le dos: "C'est la duplicité de l'inceste, ils ont choisi leur camp", s'indigne Christine Angot, qui veut sortir quoi qu'il en soit son film, où les visages ne sont pas floutés.
"Si vous parlez de l'inceste en vous asseyant dans la chaise de la victime, celle qui est là pour se plaindre, tout va bien pour vous", poursuit la réalisatrice, pour qui les appels à recueillir la parole des victimes ne suffisent aucunement.
Mais "si vous prétendez faire un tableau beaucoup plus large, avec les moyens de la littérature ou du cinéma, on vous dit: +pourquoi vous ne restez pas assis sur votre chaise de victime?+"