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L'Europe orientale s'inquiète d'une recrudescence du trafic de déchets

Malgré les déchets brûlant dans son immense cimenterie pour alimenter les fours, Cristian Voinitchi jure que l'air est pur dans la ville de Fieni, au nord de Bucarest.

Afin d'en convaincre les habitants et ses ouvriers, il a fait installer une immense volière dans laquelle évoluent des paons resplendissants.

Il veut montrer qu'il est un bon élève à l'heure où en Roumanie, comme en Bulgarie voisine, les ONG et les citoyens mettent en cause la nocivité des résidus importés parfois illégalement et dont l'industrie locale se sert comme combustible.

Le ciment est fabriqué en chauffant à des températures très élevées, grâce aux déchets incinérés, du calcaire, de l'argile et du sable dans un four rotatif.

Les associations de défense de l'environnement craignent que des trafiquants écoulent en Europe orientale des déchets non recyclés alors que de nombreux pays d'Europe de l'Ouest manquent de débouchés pour leurs ordures.

Depuis que la Chine, en 2018, et plusieurs pays d'Asie du Sud-Est ont décidé de fermer leurs frontières aux déchets produits en Occident, "la Roumanie a malheureusement repris ce rôle, par le biais d'agents économiques sans scrupule", déplore Oriana Irimia, de l'ONG roumaine Zero Waste qui promeut les stratégies de réduction des déchets.

"Nous n'avons pas la capacité de contrôler toutes les importations (...) car nous manquons de pèse-camions et d'installations qui contrôlent les quantités déclarées", explique l'activiste.

La contrebande de déchets est "en train d'exploser", affirme à l'AFP Rüdiger Kühr, spécialiste de l'environnement aux Nations Unies.

"Des entreprises récupèrent les frigidaires, ordinateurs et autres téléviseurs dont les gens se débarrassent sur les trottoirs et les exportent illégalement, de plus en plus à l'Est", ajoute-t-il.

- Fausses déclarations -

L'Europe centrale et orientale dispose de capacités de recyclage inutilisées, le pourcentage de tri au sein des foyers restant encore très faible.

La quantité de déchets générés par la consommation y est aussi beaucoup moins importante qu'à l'Ouest: la Roumanie est le pays de l'UE qui en enregistre le moins par habitant (272 kg), le Danemark étant le plus gros producteur (781 kg par habitant).

En Bulgarie, ce sont des containers de déchets importés d'Italie qui créent la controverse depuis plusieurs mois. Sofia en a renvoyé 157, soupçonnant de fausses déclarations sur le contenu livré. Le gouvernement a renforcé les contrôles aux frontières et constate quotidiennement des irrégularités.

A la cimenterie HeidelbergCement de Fieni, le directeur technique Cristian Voinitchi a pris une mesure radicale: ne plus acheter de stocks de déchets importés. Impossible, selon lui, d'obtenir la transparence des intermédiaires aux pratiques douteuses.

En 2016, explique-t-il, son usine a été contrôlée et sanctionnée pour avoir brûlé des résidus illégaux achetés à un fournisseur qui les avait acquis en Italie. M. Voinitchi ne veut plus prendre de risques et tente désormais de nouer des partenariats locaux.

- "Arbres séchés" -

Le durcissement des normes environnementales, lié à la lutte contre le changement climatique, provoque aussi une hausse du coût de traitement des déchets industriels.

Selon Guillaume Duparay, de l'organisme chargé de la collecte et du recyclage en France, les téléphones mobiles français usagés partent de plus en plus souvent en direction des pays de l'Est.

Là-bas, dans le meilleur des cas, ils sont réparés et revendus sous le manteau. Mais quand ils ne sont pas récupérables, ils sont enfouis dans la nature, hors des circuits légaux, souillant l'eau et les sols.

Andrei Cotârla, 31 ans, est riverain d'une usine dans la ville portuaire roumaine de Constanza, sur la mer Noire. Il raconte à l'AFP "voir passer tous les jours entre dix et quinze camions qui viennent y déverser des déchets destinés à être brûlés".

"Dans mon verger, beaucoup d'arbres ont séché", se désole ce médecin.

Marian David, directeur chargé du contrôle de la pollution au sein la Garde environnementale roumaine, qui dépend du ministère de l'Environnement, admet que seules "quinze amendes ont été infligées pour des irrégularités liées à l'importation de déchets ces deux dernières années".

La Roumanie été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne parce qu'elle laissait les décharges sauvages se multiplier.

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