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Pressées par les confinements de la crise sanitaire, de plus en plus d’écoles prennent le tournant du numérique et choisissent d’équiper enseignants et élèves en matériel informatique. À l’Institut Saint-Laurent de Marche-en-Famenne, toutes les classes à partir de la troisième année sont désormais concernées. Mais Pauline (prénom d’emprunt car elle veut rester anonyme), la maman d’un élève, dénonce une dérive : "L’Institut Saint-Laurent impose l’achat d’un ordinateur d’un montant de 343,05 euros pour la rentrée numérique", affirme-t-elle via notre bouton orange Alertez-nous. Malgré que son enfant possède déjà un ordinateur portable, "l’école demande qu’on achète un ordinateur spécifique, un Chromebook”, assure-t-elle. Elle s’interroge : "Est-ce normal d’imposer cet outil alors que ma fille a déjà un ordinateur ?"
50 écoles dans le projet "Rentrée numérique"
L’emploi accru de matériel informatique à Institut Saint-Laurent se fait dans le cadre de la "rentrée numérique", un projet pilote coordonné par l’ASBL EducIt, une association financée par la Fondation Roi Baudouin et d’autres fondations privées. "On a lancé cette ASBL en 2019 au départ d’un constat : le numérique est très peu présent dans l’enseignement belge francophone. Notre projet a démarré dans le cadre de BeCentral, un campus digital au-dessus de la gare centrale à Bruxelles, pour réduire la fracture numérique” présente Daniel Verougstraete, co-fondateur. Cinquante écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles sont actuellement concernées par ce projet.
C'est mieux si tout le monde à la même machine
Afin que le projet soit le plus efficace possible, l'association EducIt a conclu que chaque élève devait disposer de son propre matériel, idéalement le même pour tous : "Les modèles qu’on a utilisés jusqu’à présent, comme les salles informatiques, ne fonctionnent pas. Il faut que chaque élève ait sa machine. Et techniquement, il est impossible pour les enseignants que leurs élèves travaillent tous avec un matériel différent", justifie Daniel Verougstraete qui plaide donc pour une uniformisation. "Imaginez si un élève travaille sur Windows 7, l’autre sur Windows 10… Ce n’est pas gérable pour l’enseignant. Ou si un élève arrive à l’école avec son MacBook Pro et un autre avec le vieil ordinateur de la tante qui met 5 minutes à s’allumer… C’est difficile aussi, c’est mieux si tout le monde à la même machine, comme ça, pas de différenciation et surtout pas de stigmatisation pour ceux qui seraient plus en difficulté", défend le responsable de l’asbl.
Chromebook
Il fallait donc trouver un modèle efficace, peu coûteux et facile pour les réparations et mises à jour. Chaque réseau de l’enseignement a ainsi lancé son appel d’offres pour ses écoles afin d’obtenir le meilleur prix. Et, dans la plupart des établissements, c’est le Chromebook – une machine à mi-chemin entre un ordinateur portable et une tablette – qui a été sélectionné. "Le Chromebook, c’est essentiellement un navigateur internet. On n’installe rien localement, on accède à tous les programmes via internet", détaille-t-il.
Environ 300 euros
Il existe deux moyens de l’acquérir : soit par l’école, soit par un prestataire externe. Via l’école, l’ordinateur coûte 294 euros. La Fédération Wallonie-Bruxelles finance l’achat à hauteur de 75 euros. Il reste donc 219 euros à charge des familles. Si la famille décide d’acheter le Chromebook chez une autre fournisseur que l’école, le prix sera plus élevé avec, toutefois, toujours l’intervention de la Fédération Wallonie-Bruxelles à hauteur de 75 euros. C’est ce qui justifie les 343,05 euros avancés par la maman d’élève. L’Institut Saint-Laurent a en effet choisi de ne pas gérer elle-même les achats.
Obligatoire ?
Mais cet achat est-il obligatoire, en particulier si l’élève dispose déjà d’un ordinateur portable ? Nous avons contacté le directeur de l’école qui dément l’accusation de la mère : "On a laissé la possibilité aux élèves qui le désirent d’amener leur ordinateur portable", dit-il. Toutefois, et c’est peut-être ce qui a incliné notre interlocutrice à penser que c’était obligatoire, disposer du modèle prôné par le projet est fortement encouragé. Dans la page "Rentrée numérique" de l’école, à la question de savoir si les enfants possédant déjà un ordinateur pourraient l’utiliser en classe, on peut lire : "Nous comprenons que certains d’entre vous ont déjà équipé leur enfant et nous ne voulons pas forcer à un deuxième achat. Cependant les PC ne rencontrent pas souvent les caractéristiques que nous recherchons (autonomie, poids, résistance aux chocs, rapidité d’allumage, difficulté d’y installer les applications pédagogiques...) Il ne sera également pas assuré." Le directeur lui-même nous dit que "le matériel est très adapté à l’usage qu’on en fait à l’école. C’est mieux si tout le monde a le même ordinateur”. Avant cependant de répéter que “ce n’est pas obligatoire." Le représentant de l’association qui pilote le projet incite, lui aussi, à acheter l’ordinateur, mettant en avant plusieurs avantages :
1. une assurance en cas de chute : "Si jamais la machine est abîmée, on garantit qu’on ne demandera jamais plus de 60 euros aux familles pour la remplacer", dit-il.
2. une configuration de l’ordinateur qui fait en sorte que “les jeunes ne peuvent pas aller sur n’importe quels sites pendant les heures scolaires, ce qui permet aux professeurs d’être sûrs que les élèves utilisent bien l’ordinateur dans un cadre scolaire quand il est à l’école."
3. ces machines peuvent être bloquées à distance en cas de vol ou perte.
4. une autonomie, d’après lui, hautement supérieure.
De son côté, le directeur informe que les familles aux revenus limités peuvent bénéficier de l’intervention du Fonds de Solidarité de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’école a aussi mis en place pour les familles qui le souhaitent un échelonnement du paiement sur trois ans, à raison de 9,5 euros/mois. "Au bout des trois ans, c’est à eux. Le matériel leur appartient." Et si, par conviction, les parents font le choix de ne pas acheter d’ordinateur portable à leurs enfants, dans ce cas, plusieurs ordinateurs sont accessibles à l’école lorsque les exercices en classe le nécessitent.