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Pendant des jours, le visage peint d'Hamida Barmaki, tuée en 2011, a recouvert un mur de Kaboul, près du domicile d'un seigneur de guerre à qui sa mort est imputée : en Afghanistan, le street art redonne vie aux victimes et défie leurs bourreaux présumés.
Hamida Barmaki, une professeure de droit respectée et militante des droits de l'Homme, avait 41 ans à peine lorsqu'elle a péri, le 28 janvier 2011, en compagnie de son mari et de ses quatre enfants, dans un supermarché de la capitale afghane.
L'attentat-suicide, qui avait fait deux autres victimes, avait été revendiqué tant par les talibans que par le Hezb-i-Islami, un groupe dont le leader, Gulbuddin Hekmatyar, était considéré comme terroriste par l'ONU, jusqu'à ce qu'il signe un accord de paix avec le gouvernement afghan et revienne à Kaboul en 2017.
ArtLords, un collectif d'artistes, a donc réalisé un portrait géant d'Hamida Barmaki, foulard noir sur haut rose, un doux sourire aux lèvres, sur un haut mur en béton, à proximité de la demeure d'Hekmatyar. L’œuvre, la première du groupe, a été quelques jours plus tard mystérieusement recouverte de blanc.
"C'était un premier avertissement pour tout le monde : nous ne vous laisserons pas dormir la nuit, nous peindrons devant vos maisons", lance Omaid Sharifi, le co-fondateur et le président d'ArtLords, interrogé par l'AFP dans son studio de Kaboul.
- 'S'excuser' -
Plutôt que de demander justice pour les innombrables victimes de près de quarante années de conflit - un projet impensable au vu de la faiblesse de la justice afghane -, le collectif veut "forcer" via ses œuvres les chefs de guerre à reconnaître leurs actions passées et à "s'excuser pour ce qu'ils ont fait", ajoute-t-il.
Outre ses responsabilités au sein du Hezb-i-Islami, Gulbuddin Hekmatyar est surnommé "le boucher de Kaboul" pour son rôle dans la guerre civile des années 1990. Vétéran du jihad anti-soviétique des années 80, il était brièvement devenu Premier ministre en 1992: Kaboul avait alors subi les pires dévastations de son histoire, avec des bombardements aveugles et particulièrement meurtriers.
Contacté par l'AFP, son porte-parole s'est refusé à tout commentaire.
Comme Hekmatyar, les autorités afghanes ont récemment cherché à réintégrer plusieurs chefs de guerre dans le système politique au nom de la paix.
Le général Abdul Rashid Dostum, accusé de crimes de guerre et de viol l'hiver dernier sur un opposant, a été nommé Premier vice-président. Atta Mohammad Noor, ancien gouverneur de la province de Balkh (Nord), est perçu comme un candidat à la prochaine présidentielle, bien qu'étant accusé d'être impliqué, entre autres, dans des enlèvements.
Les victimes d'exactions sont autant de candidats potentiels à une peinture géante d'une de leurs victimes par ArtLords, peste Omaid Sharifi. "Nous n'avons pas oublié... ce qu'ils ont fait à ce pays", remarque-t-il.
Ces dernières années, le collectif a multiplié les dessins pour redonner vie aux "T-walls", ces immenses parois de béton gris ayant essaimé dans Kaboul pour protéger les bâtiments des explosions. La corruption rampante et les abus de pouvoir y sont souvent dénoncés.
ArtLords a effectué près de 400 peintures murales dans la moitié des 34 provinces du pays, avec la permission et le soutien financier des autorités ou d'entrepreneurs locaux.
- 'Du courage et des tripes' -
Une prochaine campagne s'en prendra aux atrocités commises par les talibans et les autres groupes armés actifs dans le pays. "Certaines peintures diront : +vous n'irez pas au paradis+", annonce M. Sharifi.
Une audace qui vaut aux 45 membres d'ArtLords de vivre dans la crainte perpétuelle d'être attaqués. "Tout peut arriver à n'importe quel moment", remarque le peintre, qui dit ne sortir que rarement de chez lui.
Alors qu'ArtLords est loué pour son travail par la communauté internationale, les réactions en Afghanistan sont plus mitigées. Certains ont applaudi "le courage et les tripes" des peintres, quand d'autres les ont accusés d'exacerber les tensions dans le pays.
"Utilisez votre art pour promouvoir l'unité et servir l'Afghanistan, pas pour semer la division", peut-on notamment lire sur Facebook.
Les activistes-peintres ont été menacés sur les réseaux sociaux, qualifiés d'infidèles. Des hommes en armes et des religieux leur ont intimé d'arrêter de peindre. Mais ils ne se sont pas exécutés. "Nous devons prendre cette responsabilité. Quelqu'un doit le faire", dit Omaid Sharifi.
ArtLord dresse actuellement une liste des seigneurs de guerre afghans et des personnes qu'ils sont accusés d'avoir tuées. "Nous aurons les visages de ces victimes devant leurs maisons et les rues par lesquelles ils passent", promet-t-il, sans toutefois divulguer qui seront les cibles.
Et de soupirer : "il y a beaucoup de noms qui me viennent à l'esprit."