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Le travail au noir a toujours existé et existera toujours, dans toutes les régions du monde. Cette manne d'argent qui échappe à l'impôt et donc aux finances publiques, pose problème aux autorités. En Belgique, elles ont trouvé plusieurs parades pour endiguer le phénomène, comme la baisse de la TVA (21% -> 6%) sur les travaux de rénovation dans les maisons qui ne sont pas nouvelles.
Mais ça ne suffit pas. Certains préfèrent toujours avoir recours au travail non déclaré, surtout lorsque c'est de manière occasionnelle. Et si auparavant, c'était via le bouche à oreille local, le travail au noir a trouvé un nouveau terrain de jeux (dangereux): Facebook.
Sur le plus grand réseau social du monde, il existe plusieurs groupes qui ne cachent pas leur objet: rassembler ceux qui cherchent et ceux qui proposent du travail au noir. "Est-ce que c’est normal d'ouvrir une page pour promouvoir le travail en noir ? Cette page Facebook porte bien ce nom. Il n’y a aucun contrôle ? Je suppose qu'ils prennent de la main d'oeuvre sous payée (si elle a la chance d’être vraiment payée)", nous a écrit Clara via le bouton orange Alertez-nous, joignant une copie d'écran:
En quelques minutes, nous constatons l'existence de plusieurs groupes et pages sur Facebook, avec des noms aussi évocateurs que "Travail en noir à Belgique". Sur deux groupes du genre, on aperçoit 33.000 et 15.000 membres.
Nous avons rencontré une des membres de ces groupes, Véronique. Et nous avons demandé aux autorités ce qu'elles faisaient pour lutter contre ce phénomène.
Une chômeuse qui ne trouve pas de solution stable
Nous avons donc rencontré Véronique, 48 ans. Demandeuse d'emploi, au chômage, elle habite la région de Charleroi. Elle ne s'en cache nullement: malgré ses indemnités, elle cherche et propose du travail en noir via le réseau social le plus populaire au monde (et en Belgique).
"Je gagne 1.300 euros par mois. Comme je suis en procédure de règlement de dettes, je ne touche que 1.145 euros. J'ai un loyer de 260 euros, et une adolescente à la maison une semaine sur deux. A la fin du mois, quand tout va bien, il me reste entre 100 et 150 euros par mois".
Véronique a déjà effectué de nombreux petits boulots, mais elle a "des problèmes de santé, de dos" qui l'empêchent parfois de travailler tous les jours. "Je suis reconnue à l'Aviq (Administration centrale Agence pour une Vie de Qualité)", nous dit-elle. A ce titre, elle a fait un stage, "du travail à la chaîne dans un atelier protégé, tous des fous, ils devaient faire des trous dans des intercalaires toute la journée. Les gens me regardaient bizarrement, et la sonnerie pour la pause, c'est la sonnerie de l'école. Une semaine, c'était très, très long".
En bref, elle ne parvient pas à trouver un travail stable qui lui convient, et reste donc au chômage.
"Pour avoir plus facile, pour faire plaisir à ma fille"
Mais avec 1.145 euros par mois pour se loger et vivre avec une adolescente, c'est souvent compliqué. Véronique cherche donc, en complément, des petits boulots. Et dans ce cas-là, le plus évident, c'est de faire du noir. "Sur Facebook, j'ai créé un groupe, en 2012, pour proposer des petits travaux dans la région de Charleroi". Un groupe privé (il faut demander pour devenir membre) qui rassemble quelques centaines de personnes, et sur lequel elle propose du "jardinage ou autre", laissant même son numéro de téléphone privé et dissimulant à moitié son identité :
Cet argent supplémentaire, ça n'est pas pour survivre, "c'est pour avoir plus facile, pour faire plaisir à ma fille. Elle a 13 ans, elle a besoin d'activités. Et puis pour me faire plaisir à moi-même, aussi", reconnait-elle.
Véronique n'a pas de travail, d'horaire ni de tarif précis. "Au début, c'était pour garder le chien d'une voisine". Puis elle a fait des pelouses, et a fini par s'équiper d'une bonne tondeuse. "Si c'est la grande propriété d'un gros bourg', on va taper du 25 euros de l'heure. Si c'est une personne âgée qui n'a pas beaucoup de moyens, ça peut être 10 euros de l'heure". Elle n'a pas de travail fixe, "à part une grande pelouse depuis 4 ans, tous les 15 jours".
Les risques ? "On ne vit pas sans la peur"
Véronique semble à moitié consciente des risques qu'elle encourt à travailler en noir tout en touchant des indemnités de chômage. "Bah, je ne suis pas la seule, quand je vois les milliers de membres des groupes Facebook 'travail en noir'… Si je dois avoir peur les autres aussi. Mais bon, on ne vit pas sans la peur. Si on a toujours peur, on ne vit plus".
Les risques sont pourtant bien réels, et ils sont conséquents. C'est au cas par cas, mais une personne qui travaille au noir risque des sanctions bien plus sévères en cas de cumul avec des indemnités de chômage: au niveau de l'ONEM, il s'agit du remboursement des allocations sociales qu’elle a touchées sans en avoir eu le droit, et de l'exclusion des allocations chômage pendant une durée déterminée (26 à 52 semaines) ou définitivement. Ce n'est pas tout: le travailleur s’expose également à une sanction pénale ou administrative par le paiement d’une amende car il a fourni de fausses déclarations d'inactivité dans le but de conserver des avantages sociaux. La prison est donc théoriquement possible, bien que très peu probable vu leur saturation. Des sanctions qui s'alourdissent en cas de récidive.
Malgré tout, Véronique préfère prendre ce risque plutôt que de se dire: "Je reste chez moi, j'attends le chômage et je ne fous plus rien".
Quant aux autres risques, ceux de tomber sur des personnes malintentionnées ou malhonnêtes, ça ne l'effraie pas davantage. "Je n'ai jamais eu de mauvaise histoire. Et quand j'ai un nouveau client, la première fois, j'y vais toujours avec un collègue, un ami. Jusqu'à présent, je n'ai jamais eu d'ennuis".
Véronique connait l'existence de ListMinut, que nous évoquons en détail dans cet article, mais elle n'en garde pas un très bon souvenir: "J'ai été bannie car j'ai donné mes coordonnées directement à la personne".
Des millions d'euros d'argent public perdus
Les institutions belges sont au courant du problème. Il faut dire que le travail en noir représente entre 3,6% et 20% du PIB (total des richesses produites en Belgique). Des estimations difficiles à réaliser, et qui varient fortement selon la Banque Nationale de Belgique, l'Union européenne et le Fonds monétaire international, comme le faisait remarquer La Libre Belgique dans un dossier récent accessible gratuitement en ligne car soutenu par le Fonds pour le journalisme.
Ce qui est sûr, c'est que le travail en noir représente des dizaines ou des centaines de millions d'euros de manque à gagner d'argent public tous les ans ; celui qui sert, rappelons-le, à payer les fonctionnaires, les enseignants, les hôpitaux, les infirmières, les routes, etc…
Damien Delatour est le directeur général de l'inspection du travail. "C'est un phénomène, à ma connaissance, assez nouveau, dont l'inspection du travail et le service d'information et de recherche sociale (SIRS) ont été informés assez récemment. C'est assez interpellant que ce type de phénomène se produise, que des gens osent faire la promotion de manière ouverte, du travail au noir, qui rappelons-le quand même, est quelque chose d'illégal, de moralement répréhensible et pénalement sanctionné".
Sur base de dénonciations
Une méthodologie se met en place
Ce phénomène, "on est occupé à le prendre à bras le corps mais c'est vrai qu'on n'a pas encore beaucoup d'expérience. On est en train de développer une méthodologie pour prendre en compte ce type de fraude. Il y a des contrôles. C'est évident que si on parvient à déterminer, et c'est ce qu'on essaie de faire, les propriétaires, les clients potentiels, les employeurs potentiels, les travailleurs potentiels, les chantiers et les lieux où le travail au noir serait effectué, alors on lancera des contrôles".
Damien Delatour se rend compte que la tâche s'annonce compliquée. "Derrière des comptes Facebook, il y a parfois de l'anonymat, on n'est pas toujours obligé de donner son nom. On doit recouper des données", nous dit-il.
Pour l'instant, il n'y a pas de veille, c’est-à-dire de surveillance des réseaux sociaux. "C'est lié à des dénonciations, qui sont déjà arrivées à plusieurs reprises via le point pour la concurrence loyale du SIRS (Service d'Information et de Recherche Sociale), ou via une plainte directement à l'inspection du travail".
Quant aux sanctions, le directeur de l'inspection du travail confirme qu'elles sont potentiellement lourdes. "Pour l'employeur, c'est de 6 mois à 3 ans de prison, de 4.800 à 48.000 euros d'amende, le tout étant multiplié par le nombre de travailleurs concernés. Pour le travailleur, s'il est bénéficiaire d'allocations de chômage ou de maladie-invalidité, il va perdre ces allocations et devra rembourser ce qu'il a indûment perçu, sans compter les sanctions fiscales" et pénales.