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L'extrême droite gagne du terrain en Europe. Déjà à la tête des gouvernements italiens et hongrois, plus récemment c'est au Portugal et aux Pays-Bas que l'extrême droite a battu des records. Et dans de nombreux pays, les partis d'extrême droite dominent les sondages. A moins de trois mois des élections européenne, faut-il craindre une forte poussée de ce courant politique? A terme, l'extrême droite menace-t-elle la stabilité et la paix en Europe?
L'extrême droite poursuit sa montée effrénée en Europe, à seulement trois mois des élections européennes qui se dérouleront entre le 6 et le 9 juin prochain. Après l'Italie, la Slovaquie, ou encore les Pays-Bas et le Portugal récemment, de nombreux pays rejoignent la liste des pays où l'extrême droite est sortie victorieuse des législatives locales.
Petit tour d'horizon des pays où l'extrême droite est sortie gagnante
Un vent de changement a soufflé sur le paysage politique européen ces derniers temps. Il y a quelques mois, en octobre 2023, la Slovaquie a rejoint la liste des gouvernements européens comptant un parti d’extrême droite dans ses rangs, en faisant coalition avec le "Parti national slovaque" (SNS), réputé conservateur.
En octobre 2022, l’Union européenne voyait pour la première fois l’un de ses pays fondateurs doté d’un gouvernement mené par l’extrême droite: l'Italie, aujourd'hui gouvernée par Giorgia Meloni, dirigeante du parti postfasciste "Fratelli d’Italia".
Un autre Etat fondateur, voisin de la Belgique, a failli connaître un sort similaire: le 22 novembre dernier, le parti d’extrême droite "Parti pour la liberté" (PVV) de Geert Wilders est sorti grand vainqueur des élections législatives aux Pays-Bas. Mais faute de coalition, le dirigeant néerlandais d'extrême droite islamophobe Geert Wilders a renoncé à devenir Premier ministre. Malgré le fait qu'il ne soit pas entré au gouvernement, cette victoire vient une nouvelle fois confirmer que la progression de l’extrême droite concerne toutes les régions de l’Union européenne, même les pays fondateurs de l’UE.
En Hongrie, le "Fidesz" de Viktor Orbán, parti ultra-conservateur, est à la tête du pays depuis 2010 et a été reconduit pour un 4e mandat consécutif en avril 2022. Le Portugal rejoint aussi la liste des pays européens où l'extrême droite bat des records: le pays vient d'élire son nouveau parlement, et le parti d'extrême droite "Chega" (ndlr, en français "ça suffit") a remporté 18% des voix. Et c'est une première pour ce pays européen puisque l'extrême droite n'a jamais eu autant le vent en poupe.
Pourquoi assiste-t-on à une montée de l'extrême droite en Europe?
Ce score fait écho à la progression de l'extrême droite partout en Europe, à moins de trois mois des élections européennes. Une question légitime se pose: qu'est-ce qui explique cette montée en puissance? Pierre Vercauteren, politologue et professeur à l'UCL, explique: "On assiste depuis une dizaine d’années à une crise de la démocratie de manière générale".
Plusieurs points expliquent donc cette montée des partis extrêmes au sein des pays européens. Le politologue précise: "Déjà, la forte alternance de voix du spectre politique, ensuite la poussée de l'abstention lors des élections, et enfin la lassitude et la défiance grandissante de la population à l’égard des décideurs politiques". Les citoyens recherchent alors une alternative politique, "et c'est l'extrême droite qui bénéficie de ça depuis 7-8 ans", ajoute Pierre Vercauteren.
Généralement les partis d'extrême droite profitent d’une crise pour prospérer. Et ces dernières années, des crises, il y en a eu... beaucoup: crise financière, sanitaire et migratoire notamment. Et c’est précisément la crise migratoire de 2015 en Allemagne, où 1 million de réfugiés sont arrivés dans le pays, qui a permis le boum de l’AfD, le parti d’extrême droite en Allemagne.
La migration, c’est aussi ce qui a poussé l’extrême droite en Italie. Il y a aussi une méfiance grandissante envers le fonctionnement de la démocratie, comme l'explique Pierre Vercauteren.
Enfin, les partis d’extrême droite changent de stratégie aujourd’hui, notamment avec Tom Van Grieken pour le Vlaams Belang ou Jordan Bardella pour le Rassemblement National en France, qui ont des têtes de "gendre idéal" et appâtent un nouvel électorat.
L'extrême droite va-t-elle dominer les élections européennes?
En Allemagne, dans les derniers sondages, le parti d'extrême droite AfD arrive second avec 21% d'intentions de vote. En France, une enquête Ipsos place le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national, en tête pour les élections européennes, avec 29%.
Dans tous ces pays, l'extrême droite s'installe durablement dans le paysage politique. Seul revirement en Europe: la Pologne. Dans le pays, après 8 ans au pouvoir, la droite ultraconservatrice a été battue par l'opposition centriste. Mais le parti populiste reste très puissant en Pologne...
Chez nous en Belgique, les sondages montrent que le Vlaams Belang recueillerait près de 28% des suffrages aux prochaines élections. Pierre Vercauteren explique: "D’après les sondages, on sent une poussée, mais il faut préciser qu’il y a une pluralité d’extrême droite. Il y a au moins une extrême droite spécifique à chaque pays en fonction de l’évolution du pays. Par exemple, l'extrême droite en Italie est différente de celle en Hongrie".
Il peut aussi y avoir des spécificités au sein d'un même pays, comme en France par exemple: "L'extrême droite d'Eric Zemmour n'est pas celle du Rassemblement National", précise le politologue. Il existe donc différents degrés d'extrême droite. On peut d'ailleurs facilement le remarquer en observant les bannières des différents partis d'extrême droite au Parlement européen.
Les Italiens de "Fratelli d’Italia" et les Polonais du "PiS" sont ainsi membres du groupe "Conservateurs et réformistes européens" (CRE). Tout comme les élus du "Parti des Finlandais". Par contre, les eurodéputés italiens affiliés à la "Ligue" et les néerlandais issus du "Parti pour la liberté" siègent au sein du groupe "Identité et Démocratie" (ID), en compagnie des élus français du "Rassemblement national" (RN) par exemple.
Le "Fidesz" hongrois de Viktor Orbán s’est fait exclure du groupe du "Parti populaire européen" (PPE) en mars 2021 et se retrouve depuis parmi les non-inscrits. De même que plusieurs parlementaires français du RN qui ont quitté cette formation politique pour rejoindre le parti "Reconquête" d’Eric Zemmour.
Dans tous les cas, d'après les sondages, l'extrême droite et la droite radicale sont annoncées au Parlement européen. Dans ce contexte, obtenir des majorités sera sans doute beaucoup plus compliqué, surtout pour élire le ou la prochaine présidente de la Commission européenne.
Focus sur quelques pays: le cas de l'Espagne où l'extrême droite gagne du terrain dans certaines régions
En Espagne, si l'extrême droite n'est pas parvenue à prendre le pouvoir, elle gagne tout de même du terrain. Le parti d’extrême droite "Vox" va entrer au gouvernement d'une cinquième région espagnole, celle de Murcie, grâce à un accord de coalition conclu avec le Parti populaire (PP, droite).
Les deux partis ont fini par se mettre d’accord pour former un gouvernement de coalition dirigé par le président sortant de la région, tandis que Vox y sera chargé de la sécurité et des travaux publics et bénéficiera de la vice-présidence de la région.
Cet accord porte à 5 le nombre de régions espagnoles dirigées par une coalition droite-extrême droite, après la Castille-et-Léon depuis l’an dernier et celles de Valence, d’Estrémadure et d’Aragon.
En plus des 5 régions sur 17 où le PP et Vox ont scellé une alliance de gouvernement, ces deux partis sont parvenus à des accords dans une dizaine de villes d’importance en Espagne. Et ces pactes ont suscité de nombreuses critiques, notamment à gauche.
Le cas de l'Italie, dirigée par un gouvernement d'extrême droite
"Pronti", soit "prêt" en français. C'est le slogan du parti politique "Fratelli d'Italia", qui a formé une coalition avec la "Ligue" et "Forza Italia" (ndlr, le parti de Berlusconi). Depuis octobre 2022, le parti d'extrême droite, ultraconservateur et nationaliste, est donc bien "prêt" à gouverner l’Italie à la suite des élections.
Fratelli d’Italia (FdI), dirigé par Giorgia Meloni depuis 2014, est un parti considéré comme post-fasciste. Contre l’immigration, il prône la souveraineté nationale et la tradition. Première force du pays, le parti a obtenu 26 % des voix aux dernières élections italiennes, révélant une augmentation importante de votes à l’extrême droite dans le pays.
Le cas de la Finlande, où l'extrême droite fait partie du gouvernement
En Finlande, l'extrême droite ne dirige pas le gouvernement, mais en fait partie. Le Premier ministre actuel, issu d'un parti centre-droit, gouverne en coalition avec un parti d'extrême droite, le "Parti des Finlandais", arrivé deuxième aux dernières élections avec 20,1 % des votes.
L’une des caractéristiques majeures du "Parti des Finlandais" consiste en la promotion d’une vision identitaire de la société finlandaise. Son score élevé lors des dernières élections lui a permis d’obtenir plusieurs postes au gouvernement, dont celui de vice-Première ministre pour sa présidente, Riikka Purra, qui hérite également des Finances.
Le cas de la Suède, soutenue par des partis d'extrême droite
En Suède, les choses sont un peu différentes puisque le parti des "Démocrates de Suède" (SD), fondé par des nationalistes dont des néonazis, soutient le gouvernement sans y participer. Concrètement, ça signifie que le parti vote les lois proposées par l’exécutif et contribue à la définition de sa ligne politique, mais qu’aucun des ministres n’est issu de ses rangs.
Arrivé second lors des élections législatives du 11 septembre dernier, le parti d'extrême droite était membre de la coalition électorale de la droite et de l’extrême droite sortie victorieuse du scrutin. Mais alors pourquoi ne font-ils pas partie du gouvernemet? C'est notamment le refus, parmi certaines parties de cette alliance politique, de voir des membres de la droite radicale au gouvernement qui l’a empêché d’y participer directement.
L’exécutif suédois est ainsi dirigé par Ulf Kristersson (Les Modérés, libéral conservateur), avec des ministres venant également des Chrétiens-démocrates (conservateurs) et des Libéraux (sociaux-libéraux).
Cette montée menace-t-elle la stabilité en Europe?
Dans 9 des 27 pays de l'Union européenne, l'extrême droite à dépassé les 20% aux dernières élections législatives. Cette montée menace-t-elle la stabilité et la paix en Europe? Pour Pierre Vercauteren, "tant qu’ils n’ont pas la majorité, même s’il y a une poussée, ce n’est pas un problème dans l’immédiat".
Il nuance: "Cela étant dit, l'extrême droite progresse et cela entraîne un affaiblissement des autres partis qui doivent davantage trouver des coalitions. Et là, ça peut être plus compliqué".
Et la Belgique?
En Belgique, il faut distinguer la Flandre de la Wallonie, précise Pierre Vercauteren. "Côté flamand, d’après les sondages, le Vlaams Belang semble bien parti pour être le premier parti de Flandre, de manière assez solide", explique le politologue.
En Wallonie, c’est différent: "Une petite poussée de l’extrême droite n’est pas impossible du coté wallon. Mais l’extrême droite pourrait avoir certains cantons et arrondissements, sans pour autant obtenir des sièges et donc être le premier parti wallon", ajoute-t-il.
En clair, la montée en puissance en Europe des partis d'extrême droite, qui pronent le nationalisme, l'anti-immigration, et l'euro-scepticisme, n'est pas prête de s'arrêter. L’extrême droite fait bien partie du paysage politique européen aujourd’hui…